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  • Corrado Varisco
  • Responsable de la recherche
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Le relèvement des taux complique un peu plus les aléas de la dette publique

Comparée au PIB, la dette publique atteint des niveaux sans précédent et cette tendance haussière semble inéluctable. Le nouvel environnement de taux rend la situation un peu plus tendue, ainsi que le souligne Corrado Varisco.

Francesco Mandalà

Dans le passé, c’était presque une « interdiction » d’avoir un niveau d’endettement élevé par rapport au PIB. Le pire des sacrilèges ! Aujourd’hui, ce tabou ne semble plus être d’actualité. Mais est-ce justifié ?

La majorité des dettes étatiques se situe à des niveaux historiquement élevés et devrait continuer à croître en raison de de plusieurs tendances séculaires déjà en place. Les interdictions traditionnelles concernant les ratios dette/PIB élevés ne semblent s’appliquer désormais qu’aux pays ne pouvant pas se refinancer facilement. Le Japon pourrait maintenir un ratio de 250 % du PIB, les US pourraient dépasser 150 %, et ainsi de suite. Mais quand cette spirale s’arrêtera-t-elle ? Il n’est pas facile d’y répondre, bien que des risques à long terme subsistent clairement.

Si cette conjoncture était soutenable avec une faible inflation et des liquidités abondantes, la situation actuelle a changé la donne, ce qui rend la mobilisation de capitaux encore plus urgente. Ce processus entraîne une polarisation entre les pays qui peuvent facilement continuer à émettre de la dette et à se refinancer, et ceux qui ne le peuvent pas ou difficilement.

Dans les économies qui ont alimenté la croissance économique mondiale au cours de la dernière décennie – Etats-Unis, Union européenne et Chine), la dette est appelée à continuer de croître en raison de multiples facteurs. C’est le cas par exemple du vieillissement démographique et de la diminution de la population en âge de travailler. Le coût des retraites et des soins de santé va croître d’autant. Il y a aussi la « révolution verte », dont la mise en œuvre nécessitera d’énormes capitaux. Le secteur de la défense et de la sécurité aura besoin aussi d’importants investissements, compte tenu des événements géopolitiques récents, de l’augmentation des flux migratoires et de la désobéissance sociale.

Prenons l’exemple de la France, dont la note de crédit a été dégradée l’année dernière, suite à la difficulté du gouvernement à relever l’âge de la retraite à 64 ans. La réalité est qu’une augmentation minime des coûts d’emprunt, ne serait-ce que d’un petit point de pourcentage, peut avoir au final un effet cumulatif considérable sur une décennie.

Passons maintenant aux Etats-Unis. La dette nationale y a dépassé le chiffre stupéfiant des 34 000 milliards de dollars et elle augmente à un rythme frénétique de près de 3 000 milliards par an. Les paiements d’intérêts annuels sur cette dette dépassent les 1 000 milliards. Il est prévu que ces paiements atteindront 1’300 milliards au cours des 12 à 18 prochains mois. Si cette tendance se poursuit, la spirale de la dette ne fera que s’élever de manière alarmante. Mais au niveau politique, il n’y a pas de réelle volonté d’affronter le problème de manière structurelle.

De nombreux mécanismes traditionnels utilisés pour échapper à la dette – comme la croissance économique via le commerce mondial – ne peuvent plus être tenus pour acquis. Cela est particulièrement problématique pour les pays émergents les plus faibles. En outre, augmenter le potentiel de croissance économique nécessiterait l’adoption de réformes qui pourraient s’avérer politiquement coûteuses. Certains pays pourraient alors être tentés de laisser « courir » l’inflation pour éroder la valeur de leur dette. Mais cela ne résoudra pas les principales causes qui ont conduit à cette augmentation.

L’avenir ne semble donc pas être des plus réjouissants. Nous nous attendons à une augmentation continue de la dette publique, tirée par les pays développés, qui peuvent encore se financer sur les marchés, à la différence des pays émergents les plus faibles. Il y aura une forte concurrence pour les liquidités des investisseurs, ce qui impliquera la nécessité de taux réels durablement positifs et hauts. Le risque de défaut va être globalement plus élevé, comme aussi l’exigence de retours sur investissement, compte tenu des risques plus importants et de la concurrence accrue pour le capital. Les pays les plus vulnérables devraient donner la priorité aux investissements dans l’éducation, la transition énergétique durable et les soins de santé afin de stimuler la croissance économique à long terme. Cela inclut aussi les pays développés ayant des niveaux d’endettement importants, où le service de la dette représente une partie importante du budget public, à l’image de certains pays périphériques de l’Union européenne.

Corrado Varisco

bridport & cie

Corrado Varisco occupe depuis l’an passé le poste de responsable de la recherche chez bridport & cie. Corrado a plus de vingt ans d’expérience sur les marchés obligataires avec une spécialisation dans la dette à haut rendement et la dette des pays émergents. Il a débuté sa carrière professionnelle en 2021 à la banque BSI, à Lugano, en tant qu’analyste. Il est devenu ensuite co-responsable de la gestion de portefeuille décentralisée pour l’équipe Amérique latine de BSI. En 2011, Corrado a rejoint la banque CBH à Genève où il a officié en tant que responsable de l’offre et de l’analyse obligataires. Il y a également occupé les fonctions de gestionnaire de portefeuille.