Solutions Digitales
- Interview Cédric Haenni
- Chief Operating Officer
- Pictet Asset Services
Par Levi-Sergio Mutemba
« Avec la blockchain, les gérants indépendants prennent leur temps »
La blockchain s’accompagne de nombreuses promesses, mais il en est une en particulier qui retient l’attention des gérants indépendants. Celle d’une infrastructure de marché efficace, sûre et encadrée juridiquement. Pour Cédric Haenni, co-fondateur de la Blockchain Association for Finance, c’est la raison pour laquelle la gestion de fortune n’intégrera que très lentement cette technologie. Le temps que les contours réglementaires se précisent.
Les gérants de fortune indépendants ont-ils pris la mesure des possibilités de la blockchain?
Je ne peux pas parler à leur place, mais seulement en tant que responsable chez Pictet et membre de la Blockchain Association for Finance. Lorsque nous avons décidé d’intégrer ou non les cryptomonnaies, notre position fut de ne pas considérer celles-ci comme une classe d’actifs. Pictet n’en propose donc pas à ses clients. Nous avions également réalisé une enquête évaluant la demande des gérants indépendants pour des solutions cryptographiques. Et nous n’avons pas observé de demande significative. Ce sont les clients finaux qui forment l’essentiel de cettte demande. Les gérants leur recommandent généralement de trouver une alternative par leurs propres moyens ou choisissent de s’associer à des banques soumises à surveillance et qui offrent le trading de cryptos.
L’apparition d’Internet s’est rapidement traduite par l’adoption rapide et massive de nombreuses applications basées sur cette technologie. Cela semble prendre beaucoup plus de temps avec la technologie de la blockchain…
Je pense qu’il faut faire la différence entre le monde financier et la sphère des cryptos. Ce que j’observe, c’est qu’il existe un certain dynamisme dans la partie des cryptomonnaies ou des actifs cryptographiques tels que les NFT ou les actifs tokénisés. Ici, l’adoption est très importante. En revanche, c’est vrai qu’au sein de la finance traditionnelle et des systèmes de paiement institutionnalisés entre États, l’adoption de la blockchain est très lente, surtout pour des raisons de compliance. La blockchain «casse» les règles transfrontalières régissant des infrastructures nationales qui s’interfacent entre elles. Or la blockchain est une infrastructure supranationale dès le départ.
La technologie est partie très vite dans la cryptosphère, mais cette industrie est rattrapée par les autorités de surveillance qui, dans une phase initiale, ont plutôt laissé faire. C’est cependant un développement positif, dans la mesure où tout ce qui a pu être découvert à travers la blockchain va pouvoir aider ces autorités dans leur façon de poser les principes juridiques entourant cette technologie. Ce qui va à son tour faciliter son adoption par les acteurs de l’industrie des services financiers dans leur ensemble.
L’un des avantages de la blockchain le plus fréquemment cité est la réduction considérable du temps de règlement ou «settlement» des actifs financiers. Qu’en est-il réellement?
On sait en effet que l’un des actifs qui pourrait être transféré sur la blockchain de manière très simple est la part de fonds. Ce qui signifie, par exemple, la digitalisation de l’ensemble du réseau de détenteurs de parts de fonds. Nous pouvons également imaginer que l’ensemble des opérations de règlement et de livraison de titres très liquides soit réalisé sur la blockchain. Il est en effet possible de remplacer par des registres distribués tous les systèmes de settlement actuels reposant sur des agents agrégateurs tels que Clearstream ou Euroclear, qui ont pour tâche d’introduire de la confiance dans le système.
Je suis cependant un peu réservé sur la perspective de la blockchain dans sa version strictement libertaire. Ce qu’attendent les gérants d’actifs dans leur ensemble, c’est une infrastructure de marché pertinente. À quoi bon régler une action A sur une blockchain et une action B sur une autre blockchain, sans que l’une communique avec l’autre? On pourrait se retrouver dans une situation bien plus problématique que celle que présente le système centralisé actuel.
Pourriez-vous nous rappeler les axes de développement les plus aboutis chez BAF concernant l’application des registres distribués à la gestion de fortune?
Le premier usage lié aux travaux de la BAF, qui est opérationnel depuis trois ans, est le processus de vérification des gérants indépendants ou «Know Your EAM». Il s’agit de l’obligation pour ces GFI de fournir à leurs banques dépositaires toutes les données nécessaires leur permettant de se mettre en relation avec ces dernières et de bénéficier d’une mise à jour permanente.
Cela a eu le mérite de créer un effet réseau. Parti de deux ou trois banques, le réseau en regroupe aujourd’hui une dizaine. Nous sommes donc en mesure d’évaluer l’efficacité du système grâce à cet effet réseau. Je rappelle toutefois que le deuxième type d’utilisation sur lequel nous nous penchons actuellement, à savoir le processus d’identification des clients, le KYC, est celui que la BAF souhaite développer en priorité. Les banques dépositaires étant désormais à l’aise avec le Know Your EAM, nous pouvons passer plus sereinement au développement du KYC.
Cédric Haenni
Pictet Asset Services
Cédric Haenni a rejoint le groupe Pictet en 2007. Il est actuellement COO de Pictet Asset Services. Précédemment et après avoir occupé plusieurs postes de gestion des risques/compliance, il s’était vu confier la responsabilité de la gestion des risques et de la compliance au sein de cette même entité. Avant de rejoindre Pictet, Cédric a travaillé dans le domaine bancaire auprès du Crédit Suisse et de la Banque Cantonale Vaudoise
Cédric Haenni est titulaire d’un diplôme fédéral d’employé de banque, du diplôme de Certified International Investment Analyst (CIIA) et de celui de Certified Alternative Investment Analyst (CAIA).
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