Solutions EAM

  • Antoine Blouin
  • Head of External Asset Managers
  • Banque Heritage

«Il faut devenir le sparring partner des GFI dans plusieurs domaines. »

Dans un secteur qui se professionnalise de plus en plus vite, avec des GFI tenus de clarifier leur proposition de valeur, la banque Heritage mise sur l’exécution, la proximité et la capacité à construire des solutions sur mesure. Pour Antoine Blouin, il s’agit surtout de pouvoir accompagner les gérants au plus près dans l’évolution de leurs modèles.

Par Jérôme Sicard

Quelle est la stratégie de la banque Heritage pour les services qu’elle destine aux gérants indépendants ?

Les gérants indépendants représentent un axe stratégique très important pour la banque. Cela tient pour beaucoup à l’ADN de la maison qui était un family office à l’origine, avant d’obtenir sa licence bancaire en 2004. Au quotidien, notre stratégie repose sur trois piliers : flexibilité, proximité et qualité d’exécution. Notre ambition est d’occuper l’espace laissé vacant par les grandes banques, qu’il s’agisse en raison de processus devenus trop complexes ou d’une orientation davantage centrée sur leurs propres produits.

Pour les gérants, Heritage veut apparaître comme la banque qui exécute au mieux, qui répond vite, qui les aide à trouver des solutions pour régler les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien avec leurs propres clients. Sur ce que la banque propose, nous avons un objectif clair, celui d’être très efficace, en cohérence avec sa taille et notre profil de banque-boutique, dans un esprit entrepreneurial qui correspond bien à celui des gérants.

De manière plus générale, comment voyez-vous évoluer les services que les banques dépositaires proposent à leurs GFI ?

Les services aux GFI ont surtout évolué avec le durcissement réglementaire et la nécessité, pour eux, de se différencier sur le terrain de l’investissement. Dans ce contexte, les banques dépositaires ne peuvent plus se contenter d’exécuter des ordres. Pour les établissements qui veulent fonder de vraies relations avec les GFI, il faut accepter de devenir leur sparring partner dans plusieurs domaines. Comme celui de la compliance, où les gérants valorisent la qualité de l’onboarding et la capacité de la banque à traiter les sujets FINMA de manière pragmatique. Sur le plan des investissements, il vaut mieux chercher à développer ensemble des solutions, comme les AMC, à partir de leurs besoins, et non plus à partir d’un catalogue préexistant.

En quoi les besoins des gérants indépendants ont-ils le plus évolué ces dernières années ?

Les clients finaux demandent dans l’ensemble davantage de diversification, avec des allocations substantielles dans les classes alternatives. Les schémas classiques de décorrélation entre actions et obligations ont montré leurs limites, avec des périodes où les obligations ont parfois davantage corrigé que les actions, pénalisant les portefeuilles les plus défensifs.

Les gérants indépendants doivent donc se positionner mieux sur les hedge funds, l’or, l’immobilier, les marchés privés, et même, dans certains cas, les cryptoactifs sous l’impulsion des nouvelles générations. Sur ce terrain, ils ont un avantage face aux grandes banques, en l’absence de contraintes de benchmarks et de portefeuilles modèles. Un GFI peut, s’il le juge pertinent, consacrer 20 % ou plus de son allocation au private equity ou à la dette privée. Cette liberté d’allocation, lorsqu’elle est bien utilisée, est un vrai différenciateur en termes d’expérience client et de performance ajustée du risque.

Où placez-vous aujourd’hui vos priorités ?

Nous voulons nous renforcer sur nos points forts : proximité, expertise et qualité d’exécution. Cela passe par une exigence accrue sur toute la chaîne opérationnelle : rapidité de traitement des opérations, capacité à absorber des volumes importants d’ordres, maitrise de produits parfois complexes, et production de reportings toujours actualisés et parfaitement alignés à la réalité des portefeuilles. Nous veillons à ne pas nous disperser et nous concentrons nos efforts sur les domaines où nous apportons une réelle valeur pour les gérants.

Quels services faut-il pouvoir proposer à de grandes sociétés de gestion dont la taille dépasse facilement les 3 à 5 milliards de francs ?

Les grandes sociétés de gestion de cette taille fonctionnent avec une organisation, des processus et des attentes proches de petites banques. Leurs besoins ne sont pas fondamentalement différents par rapport à de plus petites structures, mais ils sont certainement plus aigus.

Sur le plan de l’exécution, il s’agit donc de leur offrir des plateformes performantes, rapides et parfaitement intégrables à leurs systèmes : accès direct à la salle des marchés, solutions de type e-banking avancé, sans oublier les connexions via FIX ou API. Sans ce type de dispositif, on se disqualifie d’emblée.

Sur le plan des investissements, nous avons des gérants qui s’intéressent au private equity sous différentes formes – deals en direct, club deals… –  et à un sourcing d’idées aligné sur leur propre stratégie. La valeur ajoutée d’une banque-boutique comme Banque Heritage réside dès lors dans sa capacité à bien connaître ses clients, à comprendre leurs zones d’intérêt et à les connecter entre eux lorsque des opportunités communes se présentent.

Quelles opportunités les plus fortes identifiez-vous aujourd’hui pour Banque Heritage sur le marché des gérants externes, en Suisse et à l’étranger ?

L’opportunité majeure réside dans un mouvement de fond qui pousse des talents et des actifs hors des grandes banques vers des structures plus entrepreneuriales : gérants indépendants, family offices, banques familiales. De nombreux banquiers privés seniors quittent de grands groupes pour lancer leur structure ou rejoindre des sociétés de taille déjà significative, avec plusieurs milliards sous gestion.Dans ce contexte, un gérant externe bien structuré, correctement licencié, avec une gouvernance solide, se pose en peu en “meilleur des deux mondes”. Il dispose d’un cadre institutionnel rassurant pour les clients, tout en gardant la flexibilité d’une organisation légère. Pour Banque Heritage, qui partage cette culture entrepreneuriale, il y a un énorme potentiel à exploiter, d’autant que sa notoriété sur ce segment reste encore en deçà de ce qu’elle pourrait être réellement.

Quels sont aujourd’hui les principaux leviers de croissance de ces GFI ?

Pour croître, les gérants indépendants vont devoir clarifier leur positionnement et choisir leurs batailles. Le marché va devenir plus concurrentiel et se structurer autour de deux pôles : d’un côté, de très grands acteurs avec une large gamme de solutions et de services capables de capter d’importantes parts de marché auprès des clients des banques traditionnelles ; de l’autre, des boutiques spécialisées, très pointues sur un type de clientèle ou une classe d’actifs. Pour réussir, ces derniers devront formuler une proposition de valeur claire, lisible, plutôt que de se laisser tenter par l’approche généraliste d’une grande banque.

Comment imaginez-vous le secteur des GFI en Suisse à horizon 2030 ?

D’ici 2030, le nombre de GFI en Suisse devrait diminuer sensiblement, probablement en dessous de la barre des 1 000 entités, sous l’effet combiné de la consolidation, des départs à la retraite et des exigences réglementaires. Le marché sera toutefois loin d’être déserté : il sera dominé par quelques grands gérants indépendants et par des boutiques très spécialisées, notamment dans l’univers des multi family offices.

Sur ce segment, celui des multi family offices, nous assisterons vraisemblablement à une forme de tri. Beaucoup se revendiquent déjà “MFO”, mais ceux qui offriront de véritables services à 360° — gouvernance familiale, transmission, structuration patrimoniale, accompagnement de la Next Gen, ou wealth planning — seront les seuls à pouvoir s’imposer durablement. Ces structures ne pourront pas multiplier les relations : la profondeur du service impose un nombre de clients limité, proche de l’esprit d’un single family office, dans une version mutualisée.

Antoine Blouin

Banque Heritage

Antoine Blouin a rejoint Banque Heritage en juin 2025 au poste de Head of External Asset Managers. Basé à Genève, il est en charge du développement stratégique de l’offre dédiée aux gérants indépendants, en coordination avec les équipes de Genève et de Zurich. Antoine compte plus de vingt-cinq ans d’expérience dans le secteur bancaire.  Après des débuts à la Banque du Louvre, il a rejoint HSBC Private Bank à Genève, puis Société Générale Private Banking Suisse, où il a occupé notamment les fonctions de Chief Investment Officer et pris sous sa direction la succursale de Zurich. Antoine Blouin est titulaire d’un Master en Économie-Finance de l’Université de Rennes et diplômé de l’Institut des Techniques de Marchés à Paris.

 

 

Sphere

The Swiss Financial Arena

Depuis sa création en 2016, SPHERE anime la communauté des pairs de la finance suisse. Elle leur propose en français et en allemand différents espaces d’échange avec un magazine, des hors-série réservés aux Institutionnels, un site web et des évènements organisés tout au long de l’année pour aborder de nombreuses thématiques. Toutes les parties prenantes de la finance, l’un des plus importants secteurs économiques de Suisse, ont ainsi à leur disposition une plateforme où il leur est possible d’échanger, de s’informer et de progresser.