Actions suisses

Solutions Investissements

  • Daniel Steck
  • Senior portfolio manager
  • Banque Piguet Galland

Les valorisations ont rarement été aussi attractives

Le début d’année des actions suisses est quelque peu poussif. Le SMI a progressé d’un peu moins de 5%, le SPI d’un peu moins de 6%, alors que l’EuroStoxx50 est en hausse de 12%. Leur potentiel d’appréciation reste cependant très élevé au vu de leurs faibles valorisations et du coup de pouce que vient de leur donner la BNS en réduisant ses taux.

Francesco Mandalà

Les trimestres se suivent et se ressemblent pour les indices actions suisses. Une performance certes positive, mais qui peine à égaler celle des autres régions. Les valeurs de la zone Euro en particulier se démarquent encore au premier trimestre et attirent les faveurs des investisseurs. Si le biais défensif de la cote domestique est un handicap dans l’environnement euphorique actuel, ce sont également les problèmes spécifiques aux poids lourds de l’indice SPI qui pèsent sur la performance.

D’un côté, Nestlé, représentant plus de 16% de l’indice, voit la croissance de ses revenus fondre comme neige au soleil, alors que la déflation rend très difficile les hausses de prix supplémentaires. D’un autre côté, Roche, traditionnellement considérée comme l’un des groupes pharmaceutiques les plus innovants, enchaine les échecs cliniques sur les nouvelles molécules en développement dans son pipeline. Il sème ainsi le doute chez les investisseurs quant à ses futurs relais de croissance. En outre, en Suisse, pas d’exposition au thème de l’intelligence artificielle, ni aux semiconducteurs, principaux bénéficiaires de cette thématique.

Le caractère défensif des grandes valeurs domestiques n’a d’intérêt qu’en cas de risque de récession. Or, ce scénario est totalement hors de question aujourd’hui, dans la mesure où les prévisions de croissance du PIB helvétique tablent sur une progression de 2%, similaire à la croissance de la conjoncture américaine. De plus, l’objectif de stabilité des prix est bel et bien atteint, alors que l’inflation dans le pays s’effondre rapidement et approche les 1%.

Conséquence de cette normalisation des prix à la consommation, la BNS s’est payé le luxe de couper son taux directeur dès sa réunion du mois de mars, prenant les opérateurs de court. Ce desserrement lui permet de préserver la compétitivité des entreprises domestiques en mettant fin à l’appréciation du franc face au dollar et à l’euro… du moins temporairement. Structurellement, la force du franc devrait perdurer sur le long terme, notamment une fois que la BCE et la Fed auront commencer à abaisser leurs taux, avec une marge de manœuvre bien plus importante que celle de la BNS. 

Dans ce contexte, il est difficile de ne pas voir l’attrait de la cote helvétique, qui, une fois n’est pas coutume, affiche des valorisations extrêmement avantageuses par rapport aux indices mondiaux. La prime avec laquelle se traitent habituellement les actions suisses s’est en effet totalement évaporée. Le potentiel d’appréciation est par conséquent important, et en cas de consolidation des marchés, le risque d’une dépréciation supplémentaire des titres domestiques s’avère relativement faible.

Comme toujours, le positionnement sur le marché suisse est un facteur clé pour se démarquer des indices très concentrés que sont le SMI et le SPI. Alors que les banques centrales européenne et américaine s’apprêtent à emboîter le pas à la BNS en assouplissant leur politique monétaire, tout indique que nous nous situons à l’aube d’un nouveau cycle d’expansion économique et boursière. Dans un tel environnement, il est recommandé de privilégier les valeurs cycliques, tournées vers l’exportation, car ce sont elles qui bénéficieront le plus d’une politique monétaire accommodante et d’un franc suisse moins cher. Sans surprise, les petites et moyennes capitalisations offrent selon nous le plus grand nombre d’opportunités. Dans ce segment également, les valorisations excessives appartiennent au passé, et le potentiel de surperformance reste significatif.

Dès lors autant conserver une surexposition aux actions domestiques dans l’allocation d’actifs et nous recommandons une exposition généreuse aux « small and mid caps », vecteur de surperformance sur fond d’accélération de la croissance.

Daniel Steck

Piguet Galland  

Daniel Steck cumule près de 25 années d’expérience dans le domaine de la finance. Après une première expérience dans l’analyse financière chez Lombard Odier, notamment sur le secteur de la santé, il a continué sa carrière chez Reyl & Cie, comme analyste et gérant de portefeuille. Il a rejoint Piguet Galland en 2018 comme gestionnaire senior pour prendre en charge de la gestion des différents fonds actions et certificats thématiques sur la Suisse et l’Amérique du Nord. 

Crypto

Solutions Investissements

  • Dramane Meite
  • Responsable Produits
  • Hashdex

Tour d’horizon sur l’univers crypto

Avec le rebond magistral du bitcoin, qui a gagné près de 60% depuis le début de l’année, les investisseurs se réintéressent à un univers crypto qui regroupent différents segments, chacun avec ses spécificités. Dramane Meite nous les présente en détail.

Francesco Mandalà

Alors que certains observateurs pourraient penser que la crypto est apparue de nulle part, la création du bitcoin il y a 15 ans a résulté en fait de décennies de développements itératifs. Son mix innovant de technologie et d’incitations économiques a stimulé l’éclosion de toute une industrie qui entend aujourd’hui résoudre des problèmes réels au-delà de l’échange de valeur en peer-to-peer.

Cette expansion s’est accélérée ces dernières années, comme en témoigne la capitalisation boursière d’une classe d’actifs qui dépasse désormais les 2’500 milliards de dollars. Cette forte croissance crée donc différentes opportunités pour des investisseurs cherchant à tirer profit des applications que peuvent avoir la crypto, et par extension la blockchain, dans l’économie réelle.

Bien que le bitcoin reste la force dominante au sein des réseaux crypto, à savoir les blockchains publiques, l’intérêt pour cette classe se généralise de plus en plus à d’autres acteurs et à d’autres segments. Soutenue par les avancées technologiques, l’adoption de la crypto, voire même son institutionnalisation, ne cesse de se confirmer.

Dans cet univers pour le moins complexe, voici donc les cinq segments qui requièrent désormais une attention plus particulière, en raison du volume qu’ils ont pris.

Paiements/Monnaies – 1’500 milliards de dollars

Le bitcoin est la toute première crypto-monnaie au monde, un réseau de transactions numériques peer-to-peer qui ne nécessite pas d’intermédiaires. Plusieurs autres crypto-monnaies basées sur la blockchain ont été lancées dans le sillage du bitcoin, la plupart d’entre elles se concentrant sur la création de paiements plus efficaces pour permettre aux particuliers et aux entreprises de transférer de la valeur via Internet. Les perspectives d’un meilleur système de paiement à l’échelle mondiale reste l’un des grands atouts du cas d’investissement qui accompagne la crypto.

Plateformes smart contracts  – 750 milliards de dollars

Les smart contracts sont des programmes auto-exécutants qui permettent des accords juridiques automatisés ou de nombreux autres types de transactions qui nécessitaient auparavant une intermédiation. Ethereum est la plateforme de smart contracts la plus courue, mais d’autres réseaux, tels que Solana et Avalanche, proposent de nouvelles solutions pour les applications décentralisées pouvant aider à étendre l’utilisation des contrats intelligents.

Stablecoins – 150 milliards de dollars

Un stablecoin est un actif crypto à prix fixe dont la valeur marchande est liée à un actif stable comme le dollar américain. Tether (USDT) et USD Coin (USDC) sont les deux plus grands stablecoins du moment. Ils améliorent la transparence et l’efficacité des paiements transfrontaliers, de même qu’ils étendent l’accès aux marchés de capitaux, au plan mondial.

Finance Décentralisée – 50 milliards de dollars

La DeFi offre une alternative crédible aux systèmes financiers traditionnels. Elle permet de conclure en peer-to-peer des opérations de prêt, d’emprunt et de trading, sans intermédiaire. Des protocoles établis comme Uniswap, une bourse décentralisée, et Aave, une plateforme de prêt, ont prouvé le modèle de la DeFi. Le potentiel disruptif dans des domaines comme l’assurance est également énorme, faisant de la DeFi un secteur avec des perspectives de croissance significatives à long terme.

Tokenisation – 100 milliards de dollars

La tokenisation est la numérisation d’actifs présents dans le monde réel, comme les biens immobiliers ou les œuvres d’art, en exploitant la technologie de la blockchain. Elle inclut les objets de collection numériques dans les jeux et les objets de collection de grandes marques grâce aux NFT, mais aussi la tokenisation de matières premières et d’autres actifs financiers tels que des parts de fonds. Un rapport de Bank of America, publié l’année dernière suggérait que ce seul segment pouvait dépasser les 15’000 milliards de dollars d’ici 10 ans.

Chacun de ces cinq segments ne représente qu’une petite partie de l’écosystème crypto. Il existe des centaines de crypto-actifs avec des capitalisations boursières de plus de 100 millions de dollars, et bien que bon nombre d’entre eux ne soient certainement pas suffisamment matures pour la plupart des investisseurs, la croissance dans cet espace est un signe clair que cette classe d’actifs a réussi à se positionner pour le long terme.

Dramane Meite

Hashdex

Dramane Meite est responsable des nouveaux produits chez Hashdex, avec plus de 10 ans d’expérience dans les marchés financiers, la gestion d’actifs et la fintech. En poste auparavant chez Pimco, il a piloté les initiatives stratégiques et l’innovation en tant que Business Manager au bureau exécutif, puis en tant que stratège produit dans le groupe Solutions Client et Analytics. Il a également travaillé dans la vente, le trading et la trésorerie à la Standard Chartered Bank et à la Société Financière Internationale. Dramane Meite détient un MBA de l’Université Stanford, ainsi qu’une maîtrise en statistiques et économie. Il est titulaire du CFA.

Fixed Income

Solutions Investissements

  • Ray Jian
  • Responsable Obligations émergentes
  • Amundi

En 2024, les marchés émergents montreront à nouveau leurs muscles 

En 2024, tant le cycle de croissance que le cycle de politique monétaire des banques centrales promettent de bonnes opportunités pour les fonds obligataires des marchés émergents. C’est ce qu’il ressort de l’analyse proposée par Ray Jian.

Francesco Mandalà

Commençons par un bref retour en arrière : Pour renforcer leur crédibilité, de nombreuses banques centrales de pays émergents ont devancé la Fed en 2021 et ont resserré leur politique monétaire à un stade précoce. Elles ont ainsi pu maintenir l’inflation sous contrôle. Aujourd’hui, l’inflation est stable dans de nombreux pays émergents, de sorte que de nombreuses obligations de pays émergents offrent des rendements réels élevés. En 2024, il existe toujours des banques centrales dans les pays émergents qui sont prêtes à entamer leur cycle de resserrement. Toutefois, personne ne souhaite aujourd’hui commencer avant la Réserve fédérale américaine. Si la Fed baisse ses taux dans les prochains mois, le cycle de baisse des taux devrait toutefois s’accélérer dans les pays émergents également. Dans cette mesure, le plus grand risque pour les investisseurs n’est pas un éventuel atterrissage brutal, mais une accélération de la croissance aux Etats-Unis et une baisse de l’inflation plus lente que prévu.

Le Brésil et la Chine font ici figure d’exception, car ils ont déjà commencé à baisser leurs taux d’intérêt. Toutefois, le rythme du resserrement est nettement plus modéré au Brésil, tandis que la Chine agit plutôt de manière détachée du cycle mondial.

Dans l’ensemble, les pays émergents devraient à nouveau montrer leurs muscles en 2024 et atteindre des taux de croissance compris entre 3 % et 3,5 %. En comparaison, les pays industrialisés ne seront guère en mesure de suivre ce rythme. Nous pensons même que nous verrons en 2024 un pic de cinq ans dans l’écart de croissance entre les deux blocs.

Focalisation sur l’Amérique latine

L’Amérique latine reste aujourd’hui la région préférée de nombreux investisseurs. Le Mexique, le Brésil et surtout l’Argentine présentent à nos yeux les plus grandes opportunités de rendement. Les ambitions du nouveau président Javier Milei de réduire les dépenses publiques, de restreindre la politique monétaire et de relancer les ventes d’hydrocarbures plaident peut-être davantage en faveur de l’Argentine.

 

Avec un pays comme l’Argentine, il faut toutefois noter que le point d’entrée doit être choisi avec soin. L’obligation se négocie toujours à 35 cents par dollar et paie toujours le coupon. Le carry est donc à deux chiffres. Il est tout à fait possible que l’obligation monte à 50 cents par dollar si Milei parvient à mener à bien ses réformes et à faire passer la balance commerciale dans le vert. Toutefois, la volatilité est élevée et il existe des risques réels que les réformes ne puissent pas être mises en œuvre comme prévu.

Dans le cas du Brésil et du Mexique, des changements structurels soutiennent aussi la thèse de l’investissement. Le Brésil est devenu plus fort depuis la crise grâce aux mesures rapides prises par sa banque centrale. De plus, la croissance y dépend actuellement plus de facteurs internes qu’externes. En parallèle, la tendance des États-Unis à réorienter les chaînes d’approvisionnement et à réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine joue en faveur du Mexique.

Des élections auront lieu en 2024 dans de nombreux pays émergents. Toutefois, le résultat des élections présidentielles aux États-Unis est plus important que ces dernières. Ainsi, l’élection de Donald Trump pourrait assombrir les perspectives de nombreux marchés, à l’exception du Mexique.

Autant dire, en fin de compte, qu’il est temps de dissiper la perception négative qu’ont pu avoir les obligations émergentes ces dernières années.

Ray Jian

Amundi

Ray Jian est gestionnaire de portefeuille au sein de l’équipe Emerging Market Fixed Income Il co-gère les fonds Amundi Emerging Markets Bond Fund et Emerging Markets Sovereign Bond Fund. Ray Jian a débuté sa carrière en 2007 en tant qu’analyste crédit au sein de l’équipe Fixed Income de la Bank of China, à Londres. Il y était responsable de l’analyse crédit fondamentale et de la recherche sur les valeurs financières et les entreprises en Asie, aux Etats-Unis et en Europe.

Equity content

Solutions Investissements

  • Corrado Varisco
  • Responsable de la recherche
  • bridport & cie

La dette hybride européenne envoie des signes rassurants

Le marché de la dette hybride européenne a connu une correction importante au cours des dernières années. Des politiques monétaires plus restrictives et la hausse des taux ont eu sur lui des effets négatifs. Cependant, les opportunités restent entières pour les investisseurs, car la majorité des émetteurs assureront les remboursements, comme l’explique Corrrado Varisco.

Francesco Mandalà

Pour rappel, les hybrides combinent les caractéristiques des obligations et des actions. Les agences de notation les considèrent comme moitié dette et moitié actions, leur appliquant le concept de « equity content ». La dette hybride peut être rappelée par l’émetteur à sa discrétion, lorsqu’un délai minimal de 5 ans s’est écoulé après son émission. L’émetteur paie un coupon fixe jusqu’à la première date de call. Si elle n’est pas remboursée par l’émetteur, le coupon est réinitialisé au taux de swap majoré du spread auquel l’hybride a été émis. L’émetteur a la possibilité de suspendre ou de différer le paiement des coupons sous certaines conditions sans déclencher d’événement de défaut. Cela dit, les coupons sont usuellement cumulatifs.

De nombreuses émissions hybrides approcheront leur date de remboursement (call) au cours des prochaines années. Plus de la moitié de la valeur notionnelle des hybrides en circulation sera rachetable jusqu’en 2026. Les émetteurs devront décider s’ils souhaitent refinancer, racheter ou prolonger ces titres. Nous pensons que la majorité des émetteurs optera pour le refinancement.

Pour l’émetteur, les avantages d’émettre des hybrides sont plutôt évidents : coûts moins élevés qu’une introduction en bourse ou une augmentation de capital, possibilité de déduire fiscalement les versements de coupons et soutien à la notation des obligations « senior », grâce au concept de « equity content ». Ce dernier facteur est essentiel pour soutenir la thèse selon laquelle la majorité des émetteurs optera pour le refinancement de leurs hybrides.

Même si d’un point de vue purement économique, il serait avantageux de ne pas refinancer cette dette hybride, nous pensons que d’autres caractéristiques clés de ce type d’instrument prévaudront et encourageront la majorité des émetteurs à suivre cette voie à la première date de call.

Tout d’abord, pour les émetteurs d’hybrides avec des solides notations investment-grade, la prolongation après la première date de rachat soulèvera probablement des inquiétudes quant à leur crédibilité, poussant à la hausse les coûts d’emprunt. Deuxièmement, refinancer la dette hybride en émettant des obligations senior, moins coûteux, pourrait paraître une stratégie judicieuse. Toutefois, cela entraînerait un ré-endettement des bilans, exerçant une pression à la hausse des coûts d’emprunt. Étant donné que les agences de notation traitent les hybrides à hauteur de 50 % en actions (equity content), les émetteurs réguliers dotés de bilans solides sont clairement incités à refinancer, même à des taux plus élevés.

L’univers des hybrides est dominé par les Utilities, pour un tiers de l’indice, suivi par l’énergie (18 %), les télécommunications (14 %), l’automobile (10 %) et l’immobilier (10 %). À l’exception de l’immobilier, les autres secteurs sont fondamentalement solides. On remarque aussi que presque tous les hybrides en circulation sont émis par des sociétés dont la dette senior est notée IG. Il convient de noter qu’en termes de valorisation, les obligations hybrides se sont fortement redressées au cours des deux derniers trimestres, mais les rendements  -5,95% en EUR – et les spreads – 250 bps – restent à des niveaux historiquement intéressants. En conclusion, bien qu’il n’existe pas de solution « universelle » pour investir dans les hybrides, les valorisations actuelles montrent qu’il existe un large éventail d’opportunités attrayantes dans ce secteur.

Corrado Varisco

bridport & cie

Corrado Varisco occupe depuis l’an passé le poste de responsable de la recherche chez bridport & cie. Corrado a plus de vingt ans d’expérience sur les marchés obligataires avec une spécialisation dans la dette à haut rendement et la dette des pays émergents. Il a débuté sa carrière professionnelle en 2021 à la banque BSI, à Lugano, en tant qu’analyste. Il est devenu ensuite co-responsable de la gestion de portefeuille décentralisée pour l’équipe Amérique latine de BSI. En 2011, Corrado a rejoint la banque CBH à Genève où il a officié en tant que responsable de l’offre et de l’analyse obligataires. Il y a également occupé les fonctions de gestionnaire de portefeuille.

Crypto

Solutions Investissements

  • Géraldine Monchau
  • Digital Developer
  • Sphere

Quand le bitcoin apparaît dans le bilan d’une entreprise

Microstrategy, l’entreprise américaine de logiciels, fait apparaître de plus en plus de bitcoins dans son bilan. Géraldine Monchau en analyse la signification pour les investisseurs et les entreprises, en se demandant également si de pareils développements sont envisageables en Suisse.

Francesco Mandalà

En août 2020, MicroStrategy, l’éditeur américain de logiciels d’entreprise, a été la première société cotée en bourse à acquérir et à détenir des bitcoins comme réserve de liquidités. Elle continue à renforcer régulièrement ses positions au point d’être actuellement la plus grande entreprise à détenir des bitcoins. MicroStrategy a de nouveau acheté 9’245 bitcoins à la mi-mars, portant ainsi sa position totale à 214’246 bitcoins. Les achats sont financés entre autres par des obligations convertibles. MicroStrategy en a récemment émis une pour une valeur de 500 millions de dollars US, arrivant à échéance en 2031. L’entreprise avait déjà annoncé le 5 mars une offre privée d’un montant de 600 millions de dollars US.

Le bitcoin comme stratégie de réserve de liquidités

Que dit cette stratégie ? Comment le bitcoin doit-il être comptabilisé dans le bilan d’une entreprise ? Tout d’abord, on peut dire qu’il existe sur le marché une réserve de valeur alternative, le bitcoin, qui est si mature que de grandes entreprises publiques comme MicroStrategy, Tesla et Coinbase lui font confiance.

En fait, en période d’incertitude économique ou d’injections massives de liquidité de la part des banques centrales, les investisseurs se tournent vers des actifs comme l’or, car il sert de réserve de valeur. Au fil du temps, il est donc tout à fait possible que le bitcoin – l’or numérique, comme l’appelle Larry Fink – ne serve pas seulement d’opportunité d’investissement, mais aussi de réserve de valeur pour les entreprises.

A entendre Michael Saylor, ce sont les politiques expansionnistes des banques centrales qui créent de nouveaux risques pour les marchés financiers et qui, à long terme, pourraient entraîner une forte inflation, ce qui aurait un impact sur les rendements réels des investissements financiers. Il a donc décidé d’acheter des bitcoins et de recourir à l’émission d’obligations convertibles pour financer d’autres achats de bitcoins, profitant également d’un environnement de taux d’intérêt plus élevés et d’une hausse des cours des actions. En effet, l’action Microstrategy a enregistré une performance exceptionnelle de 117 % depuis le début de l’année et de plus de 480 % depuis un an, les investisseurs achetant l’action en tant que « proxi bitcoin » après le cours de clôture du 18 mars – certains analystes estiment qu’il y a encore du potentiel : Lebowitz et Roberts de RIA estiment ainsi que l’action se négocie encore à une décote de 40 %.

La comptabilisation du bitcoin en Suisse

Le bitcoin se distingue des actifs traditionnels en raison de sa forte volatilité et de son absence de forme physique. Actuellement, il n’existe pas de normes généralement reconnues pour la comptabilisation des cryptomonnaies, ce qui conduit à des approches différentes dans la pratique. En Suisse, c’est le Code des obligations qui offre un cadre aux entreprises. Le bitcoin y est principalement classé comme actif incorporel ou comme actif à court terme. « L’évaluation se fait au plus bas du coût d’acquisition ou de la valeur de marché à la date de clôture du bilan, afin de refléter la forte volatilité et le risque de marché du bitcoin », soulignent les responsables de Findea. Les directives IFRS, normes comptables internationalement reconnues, traitent également le bitcoin comme un actif incorporel. Elles exigent une publication détaillée des avoirs en bitcoin, ce qui assure la transparence et une meilleure compréhension de la situation financière. Parmi les règles de SWISS GAAP RPC, on trouve une approche pragmatique : les entreprises qui suivent cette norme peuvent développer leurs propres directives pour la classification et l’évaluation des bitcoins, en mettant l’accent sur une présentation réaliste de la situation financière.

Le bitcoin est-il la « stratégie de sortie » ?

Compte tenu de la dette record de nombreux pays et de l’incertitude quant aux décisions concernant l’évolution des taux d’intérêt, les investisseurs agissent avec une certaine méfiance à l’égard des marchés financiers traditionnels. À l’avenir, les investisseurs privés et institutionnels pourraient être plus enclins à utiliser le bitcoin comme valeur refuge et comme moyen de diversification. En marge de sa conférence annuelle à Las Vegas en mai prochain, Microstrategy a organisé le « World 2024 Bitcoin for corporations ». Une occasion pour Michael Saylor d’expliquer pourquoi le bitcoin est techniquement plus performant face à des investissements plus traditionnels comme l’or, l’immobilier et les actions, et de présenter dans la foulée son « exit strategy ».

Géraldine Monchau

Sphere

Géraldine Monchau dirige les développements de SPHERE. Elle a débuté son parcours professionnel dans la finance traditionnelle où elle a occupé des postes à responsabilité liés à la gestion de portefeuille discrétionnaire et à l’advisory. Elle a ensuite rejoint l’industrie de la technologie blockchain et des actifs numériques. Géraldine est diplômée de l’IUHEI, du CFPI et du CAIA. Co-fondatrice de Women in Web3 Switzerland, elle est membre du comité scientifique du CAS Blockchain HEG.

Cryptos

Solutions Investissements

  • Interview Carlos Martin Doncel
  • Product manager, Digital assets
  • Swissquote

« ETF bitcoin : la collecte de Blackrock approche les quinze milliards »

Deux mois après l’autorisation SEC, il apparaît clairement que Blackrock/iShares et Fidelity sont les deux grands gagnants de la mise sur le marché des ETF bitcoins. A eux deux, ils ont collecté près de 25 milliards de dollars, une performance remarquable comme le souligne Carlos Martin Doncel.

Francesco Mandalà

La remontée du bitcoin est-elle due essentiellement à l’agrément SEC sur les ETF bitcoins ou d’autres facteurs entrent-ils en jeu ?

Non, on ne peut pas affirmer que la remontée du bitcoin soit due exclusivement au feu vert de la SEC, mais il est clair que cette décision a exercé une forte influence sur l’évolution du cours. Plusieurs paramètres nous proposent des pistes intéressantes, comme par exemple les mouvements dans les blockchains ou les données publiées par différents exchanges. Il en ressort que les flux d’investissement se sont principalement concentrés sur les wallets qui contiennent de grandes réserves de bitcoins, supérieures à 100. Il y a donc eu un effet d’accumulation. Dans cette remontée du bitcoin après l’aval de la SEC, je crois aussi qu’il y a eu de la part des investisseurs un réflexe FOMO à ne pas négliger.

En termes de collecte, quels gestionnaires ont le plus profité de l’autorisation donnée par la SEC à l’émission d’ETF bitcoins ?

La mise sur le marché des ETF bitcoins a désigné deux grands gagnants qui sont Fidelity et Blackrock, avec iShares. J’y ajoute Coinbase qui est le custodian de huit de ces nouveaux ETFs. En l’espace de deux mois, la collecte de Blackrock approche les 15 milliards de dollars et celle de Fidelity approche les 10. Il faut cependant comptabiliser les sorties de Grayscale. Son ETF bitcoin au comptant a été délesté de 10 milliards par ses investisseurs depuis la mi-janvier. Il n’en reste pas moins que les flux positifs sur les ETF bitcoins approchent les 15 milliards, un record absolu pour l’industrie. Il a fallu par exemple 2 ans aux ETF Or pour atteindre ces montants, contre 2 mois pour l’ETF de iShares (IBIT).

Parmi les milliers de devises qui composent aujourd’hui l’univers crypto, combien ont réussi à s’installer durablement sur le marché ?

En analysant les évolutions du marché année après année, on voit bien que l’intérêt accordé à différents projets dépend énormément du momentum qu’ils sont capables de générer dans des périodes de bull-run. Mais nous nous apercevons également que les projets sérieux sont capables de s’inscrire dans la durée et de parvenir à des valorisations de plusieurs milliards de dollars.

Aujourd’hui, plus de 13’000 cryptos sont officiellement répertoriées ! Mais sur ces 13’000, seules quelques centaines sont dignes d’intérêt. 400 d’entre elles ont des valorisations supérieures à 100 millions de dollars et 300 dépassent les 200 millions. C’est sur ce sous-ensemble qu’il vaut mieux se concentrer. Il y a des sociétés très intéressantes à suivre dans ce segment Small Caps. Je pense par exemple à Request, lancée en 2020, qui pèse aujourd’hui 150 millions. Elle propose des receivables/créances et je pense qu’elle est promise à de beaux développements. Nous trouvons aussi dans le même univers Gnosis, un projet de 2017 reconverti maintenant en écosystème bancaire complétement intégré on-chain, et valorisé à plus de 1 milliard de dollars.

Quelle est la part de marché que contrôlent les 10 plus importantes cryptos du moment ?

Dans ce top 10, on trouve aujourd’hui deux stablecoins – l’USDT et l’USDC – deux meme-coins – Dogecoin et Shiba – et six token natifs – Bitcoin, Ether, Ripple, Binance. Solana et Cardano. A elles dix, elles représentent 85% du marché, même s’il vaut mieux en sortir les stablecoins du fait qu’elles ne présentent pas un caractère spéculatif.

Au cours de ces dernières semaines, la taille du marché crypto a-t-elle suivi la même progression que le cours du bitcoin ?

Oui, mais il faut noter que la part de marché du bitcoin a continué d’augmenter. Elle était d’environ 50% en janvier et elle approche les 52% en mars 2024. Le bitcoin reste donc le projet qui attire encore le plus d’encours. Mais les investisseurs sont quand même allés chercher de la valeur sur des monnaies moins courues, comme Solana par exemple, qui a vu son cours multiplié par onze en quelques semaines à peine !

Carlos Martin Doncel

Swissquote

Présent dans le monde des cryptos depuis plus de dix ans, Carlos Martin Doncel est responsable de la stratégie pour les actifs digitaux chez Swissquote où il est entré en 2022. Son parcours professionnel l’a mené dans la gestion d’actifs, le private equity, la recherche financière, la finance d’entreprise et l’entreprenariat. Carlos est diplômé en économie de l’Université d’Alicante.