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Emilie-Alice Fabrizi
SPHERE
Private equity: les investisseurs suisses en quête de repères
L’évolution de la gestion quantitative est intimement liée à l’envolée de la puissance de calcul. La précision, la profondeur et la multiplicité des modèles influent toujours plus sur la diversification, la performance et la gestion des risques. Il ne faut cependant pas oublier que le moteur ne peut pas tourner sans le data qui l’alimente, et que les innovations dépendent d’abord de la façon dont il est traité
Pour certains, la naissance de la gestion quantitative remonte à 1900, lorsque la thèse de doctorat de Louis Bachelier, mathématicien français, introduit pour la première fois l’utilisation des probabilités et statistiques dans le monde financier. Bachelier veut en l’occurrence mettre au point des outils capables de valoriser des options. C’est un travail précurseur du fameux modèle de Black-Scholes publié en 1973, qui martyrise depuis tous les étudiants en finance !
D’autres datent la naissance de la gestion quantitative à l’année 1954 lorsqu’Harry Markowitz soutient sa thèse de doctorat sur ce monument qu’est la théorie moderne du portefeuille. Markowitz y montre comment construire un portefeuille en tenant compte des performances espérées de titres, de leurs risques et de leurs corrélations. Dans les années 60, Sharpe, Treynor, Lintner et Mossin publient le modèle d’évaluation des actifs financiers – le fameux Capital Asset Pricing Model – qui formalise la relation entre la performance d’un titre et celle du marché. Puis, les travaux se focalisent sur l’investissement factoriel, notamment avec les travaux de Fama et French, qui perfectionnent la modélisation de la performance d’un titre en ajoutant plusieurs facteurs explicatifs tels que croissance, valeur et taille pour ne parler que des plus connus.
Tous ces travaux posent un cadre théorique indéniablement bienvenu et encore très utilisé de nos jours. Mais en pratique, à l’époque, peu de portefeuilles sont gérés sur la base de ces modèles, faute, entre autres, de données suffisamment fiables pour les alimenter.
Il y a là une vraie carence, mais elle n’est pas appelée à durer.
La plupart des acteurs de la gestion quantitative évoqués plus haut, Fama en particulier, ont eu un rôle à jouer dans la formulation de l’hypothèse des marchés efficients. Le principe en est que le prix d’un actif financier reflète la totalité de l’information publique disponible. Le corollaire de cette hypothèse est qu’il est inconcevable de surperformer le marché sur le long terme.
Il ne s’agit que d’un fondement théorique mais, en 1976, John C. Bogle, CEO de la société d’investissement Vanguard, décide de le mettre en application. Il crée alors le Vanguard 500 Index, un fonds qui réplique la structure du S&P 500, où sont rassemblées les 500 plus grandes valeurs de la cote américaine.
L’objectif de Bogle n’est pas tant d’exploiter ce postulat académique que de donner la possibilité à l’homme de la rue de détenir des parts dans les plus grandes sociétés américaines sans avoir l’embarras du choix et des achats ligne par ligne. Le tout à moindre coût, dans la mesure où le caractère systématique de la gestion indicielle implique des coûts de production moindres, et par conséquent des commissions de gestion plus faibles.
Près d’un demi-siècle s’est écoulé et Vanguard figure désormais au deuxième rang, derrière BlackRock, des plus grands gestionnaires d’actifs dans le monde. Ses encours avoisinent les 8’000 milliards de dollars. Le Vanguard 500 Index Fund existe toujours alors que la durée de vie moyenne d’un fonds est d’à peine 9 ans. Plus qu’un succès individuel c’est le succès de ce type de gestion qui est frappant : depuis 2018, les actions américaines gérées de façon passive ont dépassé en proportion celles qui sont gérées de façon active.
En associant la capacité de traitement de données qui permet la gestion indicielle et un autre progrès technologique, la négociation électronique des titres, l’une des plus grandes innovations du monde financier a pu voir le jour, à savoir les Exchange Traded Funds. Au départ, les ETFs répondent aux besoins des négociateurs de traiter toutes les composantes d’un indice en une seule transaction. Le premier d’entre eux, apparu en 1993, reproduit la performance du S&P 500. Connu dans toute l’industrie sous le nom de SPY, il compte aujourd’hui près de 350 milliards de dollars d’actifs sous gestion. 30 ans à peine après son lancement, le marché des ETFs dans son ensemble représente près de 6’000 milliards de dollars d’actifs, soit 10% des actifs mondiaux totaux en fonds ouverts.
Aujourd’hui, les données disponibles et susceptibles d’être traitées sont innombrables. Alors que leur utilisation dans la gestion se concentrait sur l’évaluation des titres et la construction de portefeuilles, elles peuvent de plus en plus être utilisées dans l’analyse des actifs, de leur potentiel, pour aboutir à des décisions plus muries. L’analyse de photos satellites pour compter les voitures sur les parkings de Walmart, par exemple, ou la fréquentation des restaurants via OpenTable permettent de mieux anticiper les tendances inflationnistes. Il est alors possible de les intégrer dans la gestion bien avant la publication du CPI par le Bureau des Statistiques du Travail.
Autrefois domaine réservé des gérants quantitatifs, de plus en plus de gérants dits qualitatifs font appel à des techniques de traitement de données pour identifier des opportunités d’investissement, voire pour étayer ou compléter leurs décisions. Les frontières s’estompent !
On l’a vu, la première grande application pratique du traitement de données en masse en gestion a eu pour effet de démocratiser les fonds d’investissement et d’en faciliter l’accès à moindre coût. Nous sommes en train de vivre la deuxième grande transformation : elle porte davantage sur la capacité à mieux gérer, de façon encore plus informée. Le système d’information, souvent qualifié de « support » par les gérants qualitatifs, a fini par s’imposer chez eux comme l’un des éléments décisifs sur laquelle repose leur compétitivité, à parts égales avec l’expérience et la compétence de l’équipe de gestion.
Bio
Jérôme Callut
DCM Systematics
Jérôme Callut est Associé et responsable de la recherche chez DCM Systematic Advisors à Genève. Avec Anthony Dearden, Jérôme a créé la stratégie Diversified Alpha et supervise son développement. Jérôme a travaillé chez Bluecrest Capital Management de 2008 à 2013 en tant que chercheur senior au sein de l’équipe de modélisation systématique, sur la stratégie BlueTrend (CTA). Il a notamment dirigé l’équipe en charge de la recherche pour les stratégies traitant les devises. Ses responsabilités comprenaient l’amélioration des stratégies existantes ainsi que la création de nouveaux modèles prédictifs. Jérôme possède un doctorat en Machine Learning de l’Université de Louvain.
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L’agence SPHERE est spécialisée dans les relations investisseurs. Elle édite le magazine SPHERE dédié aux professionnels de la gestion de patrimoines et de la gestion d’actifs en Suisse et organise des événements financiers à l’attention de ce même public. Elle s’appuie sur les compétences et le réseau solide de ses associés, actifs dans l’industrie bancaire et financière depuis plus de quinze ans.
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Une fois dissipées quelques idées fausses sur les petites et moyennes valeurs, on réalise qu’il existe de grandes différences entre elles et que l’on peut y trouver de véritables pépites, totalement délaissées par le marché. Le moment est d’ailleurs particulièrement propice pour jouer les chercheurs d’or.
On considère à tort les petites et moyennes valeurs comme une classe d’actifs homogène dont les membres partageraient un certain nombre de caractéristiques communes. Or, à part leur taille, il existe peu en commun entre une société familiale active dans une niche étroite mais rémunératrice et une startup prête à révolutionner le monde en créant un nouveau marché de toutes pièces mais en brûlant son cash sans aucune source de revenus. Comme dans la jungle, on y trouve des herbivores placides qui ruminent à l’abri des regards, des félins capables de pointes de vitesse incroyables, des prédateurs à l’affut et quelques charognards, sans oublier d’inévitables paresseux, voire même des dinosaures !
Les petites et moyennes capitalisations sont souvent perçues comme étant plus risquées que les leaders de la cote. Du fait de leur plus petite taille, elles sont supposées avoir moins de réserves et d’inertie, et sont donc considérées par le marché comme étant plus fragiles. Ici encore, il faut se garder de généralisations hâtives. Car la solidité d’une entreprise ne dépend pas de sa taille – il suffit pour s’en convaincre de se souvenir de quelques colosses aux pieds d’argile comme Lehman Brothers, Enron ou encore General Motors – mais de la qualité de son bilan, de ses fonds propres et de sa position sur son marché. Bien sûr, il existe des petites capitalisations lourdement endettées et fragiles, mais tel n’est pas le cas de la plupart des petites valeurs. Au contraire, celles-ci sont souvent gérées de façon conservatrice et prudente.
Une autre idée fausse très répandue est que les valeurs secondaires européennes seraient plus exposées à l’économie domestique et donc souffriraient plus de la crise énergétique. Or, si les petites et moyennes entreprises américaines sont effectivement très largement tournées sur le marché local, tel n’est pas le cas de leurs consœurs européennes qui exportent souvent leurs produits dans le monde entier, comme c’est notamment le cas en Suisse.
De fait, même si les petites et moyennes valeurs européennes brillent moins que certaines étoiles de la technologie, leurs qualités leur ont tout de même permis de battre largement les grandes capitalisations sur le long terme. Sur ces vingt dernières années, de 2002 à 2022, les titres du MSCI Europe SMID Cap affiche une performance annualisée de +8.5% contre 6.4% pour ceux du MSCI Europe.
Une gestion active peut encore améliorer ce résultat, notamment en limitant les baisses comme cela a été le cas en 2022, où il a été possible de réduire le recul de moitié.
Et cette surperformance n’est pas due à une année exceptionnelle qui compenserait une longue période de vaches maigres. Au contraire : ces résultats sont très réguliers, puisque, sur chaque période de 10 ans depuis 1999, les moyennes valeurs européennes ont battu les grandes capitalisations, que ce soit pendant les années de hausse ou de baisse.
Il existe en Europe 5’385 sociétés cotées en bourse. Sur ce total, 4’201 ont une capitalisation boursière inférieure à 1 milliard d’euros. En d’autres termes, 78% des entreprises cotées ne représentent que 5% de la capitalisation boursière totale. Il s’agit donc d’un énorme univers d’investissement qui, pour des raisons de coût et du manque d’intérêt de la part des investisseurs, n’est que peu couvert par les banques d’investissement. En ce qui nous concerne, près de 30% des titres que nous détenons en portefeuille sont « orphelins », c’est-à-dire qu’il ne sont suivis par aucun analyste.
Il est ainsi possible de dénicher d’excellentes affaires, sous la forme de sociétés de grande valeur qui se traitent à des valorisations nettement plus basses que la moyenne du marché. Et en investissant dans ces entreprises sous évaluées, on met en pratique la partie la plus difficile du célèbre précepte de Benjamin Graham, le père de l’investissement « value » et mentor de Warren Buffet, « acheter bon marché et revendre plus cher ». Comme les aberrations de prix finissent tôt ou tard par se corriger, il suffit ensuite d’attendre que le marché prenne conscience de la vraie valeur des sociétés.
Sur les petites valeurs comme sur les blue chips, le « market timing » représente un exercice particulièrement périlleux et il est souvent illusoire de prétendre trouver le moment idéal pour entre ou sortir de la bourse. Il n’en reste pas moins que le moment semble bien choisi pour investir en petites et moyennes capitalisations européennes.
Tout d’abord, après des années d’excès qui ont vu certains titres de la technologie atteindre des sommets difficilement justifiables, 2022 a été l’année d’un retour aux fondamentaux. Le retour de l’inflation et la hausse des taux d’intérêt ont remis au goût du jour les modèles économiques qui génèrent des bénéfices à court terme plutôt que dans un avenir lointain et incertain. Plus qu’une résurrection des titres « value » par rapport aux sociétés de croissance, on observe plutôt un passage – espérons-le plus structurel – de la « croissance à n’importe quel prix » vers « le prix a son importance ».
En effet, il y a actuellement d’excellentes affaires à saisir et c’est la première fois depuis l’éclatement de la bulle internet en 2002 et la crise de 2001-2002 qui a suivi que l’on peut trouver autant de sociétés qui valent moins de 10 fois leurs bénéfices.
Un autre indice soulignant l’actuelle sous-évaluation des petites et moyennes valeurs est le comportement de leurs actionnaires familiaux. Depuis quelques mois, des familles fondatrices décident de racheter leurs actions pour sortir de la bourse, estimant que leurs titres étaient vraiment trop bon marché en comparaison avec les prix payés pour des concurrents par les acteurs du private equity. Cela a notamment été le cas du fabricant vaudois de machines d’emballage Bobst ou du distributeur français d’équipement de bureau Manutan. C’est une nouvelle très positive pour les investisseurs : non seulement elles paient souvent des primes substantielles pour leur offre de rachat – 60% dans le cas de Manutan – mais il s’agit surtout d’une claire marque de confiance envers les perspectives de la société. Qui mieux en effet que les familles fondatrices connaissent la vraie valeur d’une entreprise ?
Dernier élément à l’appui d’un investissement en petites et moyennes capitalisations européennes. La croissance du Vieux Continent devrait être soutenue dans les années à venir par plusieurs thèmes porteurs. Il en va ainsi des besoins croissants en matière d’infrastructures énergétiques, de la relocalisation de la production afin de réduire la dépendance vis-à-vis de l’Asie, de l’automatisation croissante de l’industrie ou de la forte augmentation des budgets de défense en réponse à l’invasion de l’Ukraine.
Bio
Philip Best
Quaero Capital
Philip Best est l’un des co-fondateurs de Quaero Capital. Il a débuté sa carrière en 1983 comme gérant de fonds chez Warburg Investment Management, dont il gérait le fonds Mercury European Income. En 1987, il rejoint Enskilda Securities, en tant que broker spécialisé dans les petites capitalisations européennes. En 1994, il ouvre et dirige le bureau parisien de The Europe Company Limited, un courtier orienté sur la recherche spécialisé dans les petites valeurs européennes, racheté par Jefferies & Co en 2000. Philip Best a lancé le fonds Argonaut en 2003.
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