Insight
Fadi Barakat
Reyl Finance MEA
Une nouvelle ère de politique monétaire
L’année 2022 a vu une corrélation très forte des actions et obligations, liée à une hausse rapide des taux d’intérêt pour contrer l’inflation. La détente de la politique monétaire que privilégient en ce moment les banques centrales pourrait bien évidemment modifier la donne.
L’année 2022 restera dans les mémoires comme celle au cours de laquelle aucune classe d’actifs n’a été épargnée. La corrélation entre les titres obligataires et les actions a atteint son niveau le plus élevé, le S&P 500 ayant chuté de 19,44% et l’indice global du crédit ayant perdu 16,96%. Cette corrélation positive a été inhabituelle, car elle a défié les manuels d’économie et la théorie des portefeuilles.
La raison de ce comportement du marché a été bien sûr le cycle de hausse rapide des taux d’intérêt visant à contenir l’inflation, qui a déclenché l’effondrement du marché, alors même que l’économie était en croissance. Dès lors que nous entrons dans le cycle de réduction des taux en Europe et aux États-Unis, les banques centrales pourraient-elles inverser ce processus ? Que pouvons-nous attendre des marchés dans un avenir proche ?
Cycles passés
Lorsque la bulle « Dot.com » a éclaté entre mars 2000 et juillet 2002, les actions ont perdu 50% de leur valeur, tandis que les obligations ont augmenté de 29,7%. Au cours de cette période, la Fed a réduit le taux d’intérêt du jour au lendemain de près de 500 points de base afin de soutenir une économie ébranlée par la récession. En réalité, les obligations ont compensé la plupart des pertes subies par les actions et les portefeuilles équilibrés ont relativement bien résisté. Contrairement à 2022, les taux ont joué un rôle de tampon pour les actions.
Lors de la crise financière mondiale de 2008, entre septembre 2007 et mars 2009, les actions ont chuté de 57%, tandis que les obligations ont également perdu 10% en raison de la hausse du crédit et des défauts de paiement. Les obligations américaines non risquées à 10 ans ont toutefois progressé de 4,3%. La corrélation négative est évidente : en 2000 et 2008, les marchés ont fortement chuté, l’économie est entrée en récession, entraînant un assouplissement de la politique monétaire, contrairement aux marchés de 2022. Les obligations ont joué le rôle d’actifs défensifs face à l’effondrement du marché des actions. Tout ceci nous conduit à aujourd’hui, alors que nous tirons les leçons du passé et essayons de savoir ce que nous réserve le futur.
Des baisses anticipées
C’est dans les années 2000 que la Fed réduit, pour la première fois, ses taux de 50 points de base sans qu’il y ait de récession en vue, et pour la seconde fois dans son histoire. Nous pouvons y voir à la fois une mesure préventive contre le ralentissement du marché de l’emploi et un réajustement des rendements réels puisque les objectifs d’inflation ont été atteints. Il n’y a guère de raison de maintenir une politique monétaire restrictive avec une inflation stable et bien inférieure à 3%. Aujourd’hui, la Fed a pris la décision de réduire fortement ses taux d’intérêt, ce qui lui laisse une marge de manœuvre supplémentaire. Compte tenu du décalage monétaire, l’effet de cette réduction ne se fera sentir que dans six à douze mois et il pourrait être trop tard pour stimuler l’économie en cas de besoin.
Jusqu’à présent, les marchés ont réagi positivement à cette décision « audacieuse ». À l’heure où nous écrivons ces lignes, les actions américaines et européennes flirtent avec des records, les marchés obligataires sont stables et les écarts de taux à haut rendement sont à des niveaux historiquement bas. Tant que les dépenses de consommation resteront fortes et que la croissance du PIB sera au rendez-vous, il n’y a aucune raison de croire que nous assisterons à une répétition des crises précédentes. Au contraire, les obligations et actions pourraient enregistrer de bonnes performances.
Les petites et moyennes entreprises sont celles qui bénéficieront le plus des baisses de taux, car elles auront un impact direct sur leur accès à des capitaux moins chers. Nous pourrions donc assister à une rotation des entreprises disposant d’importantes liquidités et des grandes capitalisations, qui réaliseront moins de bénéfices que le marché dans son ensemble, au fil des ans, à cause de leur trésorerie importante. Les actions à dividendes élevés deviennent également plus attrayantes en raison de l’amélioration de leur valeur relative par rapport au taux sans risque.
La récente inversion de la courbe des taux indique toutefois que les gains issus des investissements obligataires seront limités aux flux de trésorerie générés par la détention de la dette. L’appréciation du capital causée par une nouvelle compression des taux d’intérêt est peu probable et les réductions sont réduites. Les risques d’inflation ne se sont pas complètement dissipés, car d’éventuelles nouvelles guerres commerciales et une politique budgétaire expansionniste font peser des risques sur les prix.
Un chemin semé d’embûches
Les douze mois à venir s’annoncent très intéressants, les marchés s’attendant à des réductions de 175 points de base pour atteindre 3%, le taux neutre. Cependant, le chemin est semé d’embûches et rarement linéaire. Les temps à venir sont difficiles, les risques géopolitiques augmentent, mais ne sont pas nécessairement intégrés. Nous attendons également les élections américaines et leurs implications sur la politique fiscale et le marché de l’emploi. En attendant, tant que la musique joue, la fête continue.
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Emmanuelle Sée
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Alors que la BCE et la Fed viennent toutes deux d’entamer la normalisation de leurs politiques monétaires, le rythme et l’ampleur de ce mouvement restent encore incertains au regard des fondamentaux économiques. Emmanuel Petit livre ici son analyse sur ce nouvel environnement.
Comment interpréter les dernières baisses de taux directeurs ?
Les décisions prisent dernièrement par les banques centrales marquent clairement l’enclenchement d’un cycle de baisse de taux. La BCE a déjà opéré deux baisses de 25 points de base, en juin, puis en septembre, alors que la Fed vient d’entériner une première baisse de 50 points de base, une première depuis 2020. Ces décisions s’appuient sur des chiffres d’inflation globale bien orientés, à 2,2 % en Europe et 2,5 % aux États-Unis, proches de la cible des 2 %. L’inflation structurelle, dite « core », hors alimentation et énergie, reste toutefois stable, autour de 2,8 % en Europe et 3,2 % aux États-Unis. Elle reste soutenue par un secteur des services particulièrement exposé aux pressions salariales.
Cette décision marque-t-elle un changement d’appréciation de la part des banques centrales ?
En dépit de ce changement de cap, les banques centrales continuent de marteler qu’elles sont et resteront « data dependent ». Jusqu’à présent, l’inflation leur servait de boussole mais, désormais, ce sont les données d’emploi qui sont observées avec la plus grande attention. La décision d’assouplir leurs politiques monétaires indiquent néanmoins qu’elles misent toutes deux sur une hausse du taux de chômage dans les mois à venir.
Comment se comporte le marché de l’emploi dans ces deux zones ?
En Europe, le taux de chômage est au plus bas et la croissance des salaires reste vigoureuse, à près de 4 %, sans gain de productivité. Les entreprises pourraient, dès lors, être tentées d’augmenter leurs prix pour maintenir leurs marges. Du côté des États-Unis, le taux de chômage à, certes, augmenté de 0,8 % depuis son point bas du mois de mai 2023 mais, comme l’indiquaient les dernières publications, les inscriptions au chômage tendent également à la baisse. Avec des ventes au détail qui restent résilientes, ces chiffres nous indiquent que nous sommes encore loin d’un environnement récessionniste.
À quoi peut-on s’attendre dans les mois à venir ?
Pour l’instant, on peut estimer que les banques centrales réduisent leur politique monétaire restrictive au rythme de la perte de vitesse des économies. Il faudrait que ces dernières chutent brutalement au cours des prochains mois pour que les banques centrales se sentent véritablement à l’aise avec l’idée de continuer à baisser leurs taux. Lorsque l’on regarde les indicateurs avancés, ils signalent d’ores et déjà un ralentissement économique. Néanmoins, la valorisation des actifs risqués n’intègre absolument pas l’éventualité d’une récession. Un scénario alternatif à la récession et au « soft landing » repose sur l’idée que les banques centrales commencent trop tôt à desserrer l’étau monétaire, avant que l’inflation ne soit revenue à la cible. En reboostant l’économie par des baisses de taux, le risque serait faire repartir l’inflation, et donc de remonter les taux plus tard avec, pour le coup, un impact très négatif sur l’économie. Les banques centrales prennent donc actuellement un vrai pari concernant la maitrise de l’inflation.
Où se situent actuellement les niveaux de taux ?
Les courbes de taux se sont repentifiés durant l’été. La pente de la courbe américaine s’est même réinstallée en territoire positif entre le 2 et le 10 ans, après avoir atteint un plus bas, à -110 points de base, en Juillet 2023. Nous pensons néanmoins qu’il convient de prendre un peu de perspective. Le point haut atteint par les taux européens date d’octobre 2023 et s’établissait à près de 3 %. Son niveau se situe désormais à 2,15 % alors que la repentification des courbes a débuté en juillet 2023.
Quelle approche privilégier dans cet environnement ?
Actuellement, la difficulté tient au positionnement à prendre vis-à-vis des anticipations de taux à un an. Nous considérons qu’il convient de se montrer plus prudent sur la duration pour deux raisons, avec un biais pour la pentification de la courbe. La première concerne la valorisation des courbes de taux qui intègre déjà un scénario de récession, notamment via des anticipations d’inflation à 1,60 % sur la courbe allemande, alors que la cible des banques centrales est de 2 %.
Par ailleurs, si les marchés se montrent trop optimistes quant au rythme et à l’ampleur des baisses de taux, dans le cas où l’économie reste résiliente, on peut s’attendre à une hausse de la volatilité qu’il faudra être en mesure de capter. Cette volatilité se matérialisera certainement sur les taux, mais également sur le crédit, où les spreads se sont beaucoup resserrés. Par ailleurs, cette classe d’actifs réagirait particulièrement mal si les investisseurs venaient à être pris à contrepied sur les taux. Une situation qui, pour le coup, précédera un retournement cyclique plus dur. Compte tenu de ces éléments, cette stratégie nous paraît actuellement être la plus convexe.
Emmanuel Petit
Rothschild & Co Asset Management
Emmanuel Petit a débuté sa carrière en 1998 chez HSBC Asset Management comme analyste dans le domaine de l’attribution de performances AIMR-GIPS puis il est devenu analyste crédit en 2001. En 2006, il rejoint Rothschild & Co Asset Management en tant que gérant obligataire sur les obligations privées. Il en est responsable de la gestion obligataire depuis 2011. Emmanuel est diplômé d’un mastère spécialisé en Finance d’entreprise et membre de la SFAF (Société Française des Analystes Financiers).
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La préservation de la biodiversité est devenue un élément fondamental dans la lutte contre le réchauffement climatique. Elle s’impose d’ailleurs comme l’une des thématiques clés pour les investisseurs engagés dans une approche à impact, notamment pour les réponses qu’elle apporte à trois des dix-sept des objectifs de développement durable des Nations Unies.
Comment définir la biodiversité, en se référant par exemple aux Objectifs de Développement Durable des Nations Unies ?
La biodiversité représente la richesse et la variété de la vie sur Terre, depuis les plus simples structures génétiques jusqu’aux organismes complexes tels que les humains. On associe le plus souvent la biodiversité à la Nature. Elle englobe non seulement les différentes espèces animales et végétales, mais aussi les micro-organismes, ainsi que les écosystèmes qui les soutiennent. Les contours de cette définition ont notamment été fixés par la Convention de la Diversité Biologique en 1992. Cette définition est souvent utilisée en référence aux Objectifs de Développement Durable des Nations Unis. Elle en concerne trois plus particulièrement. Le 14 – conserver et exploiter durablement les océans – le 15 – protéger et restaurer l’utilisation durable des écosystèmes terrestres- et je rajouterais aussi le 12, qui vise à établir des modes de consommation et de production durables.
Quels sont pour vous les grands enjeux liés à la biodiversité ?
Après la lutte contre le réchauffement climatique, la préservation de la biodiversité représente aujourd’hui un immense défi. De multiples facteurs sont responsables de la dégradation de nos écosystèmes : les changements d’utilisation des terres et des mers, l’exploitation directe des espèces, le changement climatique, la pollution et les espèces invasives, pour citer les principaux. Par ailleurs, la perte de la biodiversité s’est accélérée – et ce à l’échelle globale. De nombreuses espèces animales et végétales disparaissent à un rythme alarmant. Or, les crises de la biodiversité et du climat sont liées dans la mesure où nos écosystèmes jouent un rôle central dans l’absorption du carbone. La dégradation de la nature induit des répercussions sanitaires, sociales mais également économiques. Heureusement, le cadre réglementaire progresse. Il encourage les investisseurs à agir. 196 pays se sont réunis lors de la COP15 sur le thème de la biodiversité et sont parvenus à un accord historique, avec un cap clair et des objectifs quantifiés pour réduire significativement sa perte.
En termes d’investissements, comment se caractérise ce thème?
Selon le World Economic Forum, les investissements relatifs à la biodiversité représentent un marché potentiel valorisé à 10’000 milliards de dollars par an, auquel s’ajoutent 395 millions d’emplois à horizon 2030. Il forme donc un important vivier d’opportunités où émergent entre autres de nouvelles solutions et de nouvelles technologies.
Pourquoi cette thématique vous semble si importante que vous décidiez de lui consacrer un fonds ?
Chez Swiss Life Asset Managers, nous sommes convaincus que le respect de la biodiversité est la nouvelle thématique prioritaire pour les investisseurs engagés. Nous avons donc été un des premiers acteurs du marché à lui consacrer un fonds. Il est possible de saisir ainsi des opportunités de croissance durable à travers des entreprises qui œuvrent contre la perte de biodiversité.
Quelle est la taille de l’univers d’investissement sur lequel vous opérez ?
Pour être prise en compte dans notre univers d’investissement, une entreprise doit démontrer une intentionnalité matérielle. Cela implique une vision claire de la part du management ainsi qu’un stade de développement avancé post Recherche et Développement. De fait, c’est un univers dynamique qui reflète le réservoir d’opportunités où nous voyons émerger les nouvelles solutions et les nouvelles technologies dont je vous parlais plus tôt. Il comprend, à date d’aujourd’hui près de 350 valeurs.
Quel est le profil des entreprises sur lesquelles vous vous concentrez ?
Le fonds présente des biais marqués sur des secteurs, des facteurs et des zones géographiques. Nos valeurs sont orientées petites et moyennes capitalisations. Elles démontrent une matérialité impact significative ainsi qu’un fort potentiel de croissance et d’innovation. Nous avons une préférence marquée pour les marchés japonais et européens, et nous avons tendance à privilégier certains secteurs clés tels que les cleantechs, les matériaux durables et la consommation de base. L’approche factorielle est stratégiquement orientée vers la croissance future, en maintenant une légère surpondération sur les valeurs dites “value”. Cette orientation reflète notre engagement en faveur de solutions innovantes et durables qui contribuent à la préservation de la biodiversité. Nous ajustons régulièrement ces biais pour nous adapter aux évolutions du marché. C’est une stratégie qui s’est avérée efficace dans le contexte des fluctuations de marché et des fluctuations environnementales que nous avons rencontrées des dernières années.
Quels sont les critères, voire les indicateurs clés utilisés dans vos analyses et vos évaluations ?
Ils reposent sur des indicateurs scientifiques et académiques. Notre rôle est d’évaluer entreprise par entreprise comment ces critères de respect de la biodiversité sont réellement intégrés. Cela passe, tout d’abord, par l’exclusion des entreprises à impact négatif, dont l’activité contribue directement à dégrader nos écosystèmes. Je rappelle que nous investissons dans des sociétés qui proposent des solutions pour protéger et/ou restaurer nos écosystèmes. Nous basons également notre analyse sur le cadre des Objectifs de Développement Durable des Nations Unis – les ODD 14 et 15, que j’ai déjà mentionnés, ainsi que l’ODD 12, davantage lié à l’économie circulaire. Pour ce qui relève de la gestion à proprement parler, elle est de type « quantamental ». Elle repose sur des inputs combinant top-down et bottom-up. Le prisme quantitatif permet de construire une structure de portefeuille solide, en maîtrisant à la fois les contraintes liées à la réglementation et au risque. Quant à l’approche fondamentale, elle est essentielle dans la sélection des entreprises en tenant compte de leurs activités et de leurs sensibilités envers la biodiversité.
Où identifiez-vous aujourd’hui les opportunités les plus évidentes ?
Nous voyons beaucoup d’opportunités dans des domaines assez diversifiés. Parmi elles, je mettrais en avant les sociétés spécialisées dans le traitement de l’eau, des déchets ou dans le recyclage des métaux pour encourager l’émergence d’une économie circulaire. On peut également retrouver bon nombre de technologies, comme des appareils de cartographie de fonds sous-marins ou encore le segment de l’agri-tech de même que celui des activités régénératrices.
Sur un plan plus géographique, le Japon, tourné vers l’océan, compte plusieurs sociétés spécialisées dans la protection de l’écosystème marin que nous trouvons très intéressantes. L’Australie, où la faune et la flore sont menacées, se distingue aussi avec ses acteurs dédiés à l’économie circulaire. En Europe et aux Etats-Unis, on trouve davantage de sociétés qui se concentrent sur la lutte contre la pollution à travers par exemple la préservation des écosystèmes, sur terre ou en eau douce.
Emmanuelle Sée
Swiss Life Asset Managers
Emmanuelle Sée est responsable du pôle Actions et de l’Impact Investing chez Swiss Life Asset Managers France depuis 2022. Elle a débuté sa carrière en banque d’investissement auprès de ICBC et Bank of China comme analyste, puis elle a rejoint le groupe Amundi, à Tokyo et à Paris. Elle y a évolué dans différents postes de gestion dédiés aux solutions ESG/Impact, de 2014 à 2021. Gérante Multi-Asset à ses débuts, Emmanuelle s’est spécialisée ensuite comme gérante Actions Globales sur la thématique Impact liée plus spécifiquement aux solutions climatiques, environnementales et sociales. Pour Swiss Life Asset Managers, elle gère notamment le fonds Equity Environment & Biodiversity Impact. Emmanuelle Sée est diplômée d’un Master en Finance de l’Institut National des Langues Orientales. Elle est également titulaire de trois licences en chinois, en japonais et en commerce international.
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Les stablecoins ont su s’imposer malgré des cadres réglementaires souvent flous. En offrant une passerelle entre le monde traditionnel et l’univers décentralisé des crypto-actifs, les stablecoins ont bouleversé les pratiques financières. Pourtant, leur développement rapide soulève une question cruciale : ces innovations se déploient-elles plus vite que la capacité des gouvernements à les réguler ?
Les stablecoins sont un type de cryptomonnaie qui cherche à maintenir une valeur stable en adossant leur valeur marchande à une référence externe, tels que le dollar américain ou des matières premières comme l’or. En s’arrimant ainsi, elles visent à offrir le meilleur des deux mondes : la liquidité et l’accessibilité des crypto-monnaies avec la stabilité des monnaies traditionnelles.
En 2014, des sociétés comme Tether et Circle ont commencé à émettre des stablecoins adossés à des actifs réels tels que dépôts bancaires et billets à court terme. Ces pièces ont contribué à instaurer la confiance dans un marché numérique émergent. Cependant, toutes les stablecoins ne sont pas égales Certaines sont entièrement adossées à des actifs tangibles, tandis que d’autres, comme les stablecoins algorithmiques, s’appuient sur le code et la dynamique du marché pour maintenir leur peg.
L’importance du maintien de la parité
La véritable valeur d’un stablecoin réside dans sa capacité à maintenir sa paritié même pendant les périodes de volatilité du marché. L’effondrement tristement célèbre de Luna et de TerraUSD en 2022, est un exemple édifiant de ce qui se passe lorsque cette stabilité est compromise. Lorsque TerraUSD a perdu son peg , la panique générale déclenchée sur le marché a entraîné des milliards de dollars de pertes et l’effondrement du marché crytpo.
Lily Liu, une éminente entrepreneuse du secteur des crypto-monnaies, décrit avec justesse le rôle des stablecoins dans la finance décentralisée : « Les stablecoins sont absolument essentiels pour la finance” on-chain”. Ils vous donnent une souveraineté digitale et économique grâce au “self-custody” ». Ce point souligne la façon dont les stablecoins permettent aux individus de gérer leurs propres actifs financiers sans dépendre d’intermédiaires.
La croissance des stablecoins en 2024
Les stablecoins ont continué à se développer, malgré l’incertitude réglementaire et les corrections du marché. Selon le rapport 2024 de CoinGecko, les stablecoins adossés à des fiats ont bondi pour atteindre une capitalisation boursière de 161,2 milliards de dollars en 2024, même si elle reste inférieure au pic de 181,7 milliards de dollars atteint en 2021. Tether), le leader du marché, en représente 70,3 %.
Les stablecoins adossés à des matières premières ont également connu une croissance significative, augmentant de 18,1 % pour atteindre 1,3 milliard de dollars en 2024. Ils ne représentent cependant que 0,8 % du marché des stablecoins adossés à des fiats.
Dans l’ensemble, les stablecoins représentent aujourd’hui 8,2 % de la capitalisation du marché mondial des crypto-monnaies et leur domination augmentent pendant les périodes d’instabilité du marché.
Ces chiffres indiquent cependant que les stablecoins constituent une infrastructure financière parallèle sérieuse, ayant démarré à un niveau proche de zéro il y a seulement cinq ans.
Tether et l’approbation implicite
Tether, le plus grand stablecoin du monde, est sur le point de fêter son 10e anniversaire. Avec des actifs sous gestion atteignant un niveau record de 119 milliards de dollars et un bénéfice d’exploitation de 1,3 milliard de dollars pour le deuxième trimestre 2024, Tether a de nombreuses raisons de se réjouir. Ses avoirs en dette américaine s’élèvent à eux seuls à 97,6 milliards de dollars, ce qui la placerait au 18e rang des pays détenteurs, dépassant la dette détenue par l’Allemagne, les Émirats arabes unis et l’Australie.
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que Tether semble avoir obtenu l’approbation implicite des régulateurs américains. En se conformant aux demandes de mise sur liste noire des adresses signalées par les forces de l’ordre, Tether semble avoir acquis une position d’acceptation tacite au sein du système financier américain.
L’adoption grâce à une utilité croissante
L’utilité des stablecoins continue de s’étendre à mesure que les entreprises et les institutions financières internationales les intègrent à leurs services. BBVA a intégré l’USDC dans ses services de crypto-actifs en Suisse. Comme le souligne la banque: “Les clients institutionnels et privés de BBVA en Suisse, ainsi que ceux qui possèdent un compte NewGen, peuvent désormais gérer leurs fonds USDC sur la même plateforme que celle où ils gèrent leurs investissements traditionnels”.
Au Japon, Sony Bank s’apprête à lancer un stablecoin indexé sur le yen, tandis que les trois plus grandes banques du pays – MUFG, SMBC et Mizuho- étudient des systèmes basés sur des stablecoins pour les paiements transfrontaliers.
Jeremy Allaire, PDG de Circle, a récemment laissé entendre que la dernière mise à jour NFC (Near-field communication) d’Apple pourrait ouvrir la voie à des paiements instantanés utilisant l’USDC. Ce type d’adoption par le grand public pourrait faire entrer davantage les stablecoins dans la vie quotidienne des consommateurs et des entreprises.
L’avenir : une voie vers l’acceptation universelle.
Alors que les gouvernements du monde entier se débattent avec les implications liées à l’utilisation des stablecoins, une chose est claire : les stablecoins ont eu suffisamment de temps pour s’ancrer dans l’écosystème financier, de sorte que les gouvernements sont plus enclins à s’en accommoder qu’à les interdire purement et simplement. Dans un monde où les stablecoins ont déjà fait leurs preuves, l’acceptation plutôt que la permission semble donc avoir été la bonne approche!
Géraldine Monchau
SPHERE
Géraldine Monchau dirige les développements de SPHERE. Elle a débuté son parcours professionnel dans la finance traditionnelle où elle a occupé des postes à responsabilité liés à la gestion de portefeuille discrétionnaire et à l’advisory. Elle a ensuite rejoint l’industrie de la technologie blockchain et des actifs numériques. Géraldine est diplômée de l’IUHEI, du CFPI et du CAIA. Co-fondatrice de Women in Web3 Switzerland, elle est membre du comité scientifique du CAS Blockchain HEG.
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La toute première confrontation entre Kamala Harris et Donald Trump, les deux candidats à la présidentielle américaine, a eu lieu en début de semaine. Le bon moment pour analyser leur programme respectif et leur éventuel impact sur les marchés financiers.
Alors que la course à la présidentielle américaine entre dans sa dernière ligne droite, les deux candidats se sont affrontés mardi 10 septembre dans un rude débat. Portée par une vague d’optimisme depuis l’annonce du retrait de Joe Biden et son intronisation par le Parti démocrate, Kamala Harris, désormais en tête des sondages – 47% contre 44% pour Donald Trump selon le site fivethirtyeight.com – devait éviter le faux pas qui lui aurait fait perdre son avance. De son côté, le candidat républicain devait tenter de reprendre la main, lui à qui la victoire paraissait acquise tant que Joe Biden était dans la course.
Cette première confrontation a été aussi l’occasion d’analyser les programmes des deux candidats et surtout d’en évaluer les impacts pour l’économie et, par ricochet, pour les marchés financiers.
La prestigieuse Wharton School of the University of Pennsylvania s’est récemment livré à cet exercice, dont on peut tirer quelques grandes conclusions. En termes d’impact sur la croissance par rapport à la législation actuelle, les chercheurs estiment que le programme de Kamala Harris aurait un effet significativement négatif à court, moyen et long terme, tandis que celui de Donald Trump aurait un effet positif sur la croissance à court terme et négatif à moyen et long terme, dans une ampleur toutefois nettement moindre.
A l’inverse, le programme de l’ex-président Trump est jugé beaucoup plus coûteux pour les finances américaines que celui de l’actuelle vice-présidente. L’étude précise certes que les mesures de hausses des droits de douane annoncées par Donald Trump ne sont pas prises en compte dans le calcul, à cause du manque de précision sur les modalités de ces mesures et de l’incertitude sur les effets secondaires potentiels, notamment les mesures de représailles que pourraient prendre les pays concernés. Il y a toutefois peu de chance que ce pan du programme de Trump soit en mesure de compenser l’écart considérable en termes de creusement du déficit estimé par la Wharton School : 5 800 milliards de dollars de déficit supplémentaire d’ici 2034 pour le programme de Trump contre 1 200 milliards pour le programme de Harris.
Finalement, la confrontation des deux programmes peut se résumer à ce duel : plus de croissance à court terme contre plus de soutenabilité budgétaire à long terme. Si l’économiste préférera certainement la deuxième solution, les marchés financiers, eux, raisonnent bien davantage sur le court terme. D’autant plus que le programme de Kamala Harris comporte nombre de mesures bien peu favorables aux entreprises : hausse de l’impôt sur les sociétés de 21% à 28%, hausse de 10,5% à 21% du taux d’imposition des bénéfices réalisés à l’étranger, quadruplement de 1 à 4% de la taxe sur les rachats d’actions… Autant d’initiatives qui risquent d’être accueillies plus que froidement par les marchés actions américains.
Néanmoins, une victoire de Kamala Harris à l’élection présidentielle ne signifierait pas pour autant l’application rapide et automatique de ces différentes mesures. En réalité, tout reposera sur la composition du futur Congrès, seul à même d’entériner des évolutions législatives, à l’exception des mesures de politique extérieure – dont les tarifs douaniers – qui restent à la main du président. Un Congrès acquis aux Républicains – comme cela avait été le cas lors de la réélection de Bill Clinton en 1996 – ou simplement divisé, limiterait largement les marges de manœuvre de Kamala Harris en cas d’élection. Notamment sur la hausse de la fiscalité sur les entreprises qui constituerait probablement une ligne rouge pour le camp républicain.
En somme, le débat du 10 septembre aura probablement un impact notable sur le résultat de l’élection présidentielle. Mais il ne présagera de rien concernant le programme économique qui sera réellement mis en place aux Etats-Unis, au cours des premiers mois de 2025. A fortiori si l’économie, et notamment l’emploi, continuent de se dégrader et si les Etats-Unis connaissent un fort ralentissement, voire une récession : il y aurait fort à parier que les mesures appliquées n’auront plus grand-chose à voir avec celles mises en avant par les deux candidats à la Maison Blanche.
Olivier de Berranger
La Financière de l’Echiquier
Olivier de Berranger est le directeur général et le co-CIO de La Financière de l’Echiquier. Il a occupé depuis 1990 des postes de trader, ainsi que de responsable de desk de trading sur les produits de taux d’intérêt, cash et dérivés au Crédit Lyonnais puis chez Calyon. Il a ensuite été responsable du pôle Capital Markets chez First Finance. Olivier de Berranger rejoint La Financière de l’Échiquier en mars 2007 en qualité de gérant obligataire. Après être devenu directeur de la gestion taux, crédit et diversifié, il est nommé en 2017 directeur de la gestion d’actifs et entre au comité de direction. En décembre 2023, il en devient directeur général de LFDE. Olivier de Berranger est diplômé d’HEC.
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Contrairement à la plupart des économies dans le monde, la Chine a loupé dans les grandes largeurs le virage de la reprise, comme en témoigne le comportement de ses consommateurs, beaucoup moins portés à la dépense ces derniers temps.
Si les investisseurs débattent de la possibilité d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine après les signes de surchauffe post-Covid et une série de hausses successives de taux d’intérêt, la situation de l’autre côté de l’océan Pacifique est tout autre. Contrairement à de nombreuses économies à travers le monde, celle de la Chine a manqué un cycle conjoncturel complet et peine toujours à renouer avec la croissance après la levée tardive du confinement en 2022 qui a laissé de nombreux secteurs en souffrance. Cette absence d’élan se manifeste par une anémie des consommateurs chinois, qui semblent ne plus vouloir dépenser, et par la morosité ambiante des investisseurs. Où sont donc passés ces touristes fortunés qui arpentaient autrefois les magasins de luxe de Lucerne, Paris ou Londres ? Et quand retrouveront-ils leur esprit dynamique et entrepreneurial ?
La faiblesse actuelle de l’économie chinoise ne se limite pas uniquement aux biens de consommation discrétionnaire, comme les cosmétiques, bien que la déception causée par les récentes performances Sephora et Estée Lauder en sont un exemple assez parlant. D’autres secteurs essentiels, tels que la santé ou même la consommation de produits de base, sont également touchés par cette baisse généralisée des dépenses. Certaines marques internationales ont beau tenter d’utiliser ce contexte économique pour dissimuler leurs propres pertes de compétitivité et de parts de marché, il n’en reste pas moins qu’une grande partie du problème reste directement ou indirectement lié à la faiblesse persistante du marché immobilier chinois. Or, ce secteur a longtemps été un formidable moteur de la croissance.
Malgré une série de mesures adoptées par le gouvernement chinois, telles que des réductions des taux d’intérêt, des subventions fiscales destinées à stimuler la consommation, ainsi que des efforts pour réduire les stocks excédentaires de logements, la politique de relance n’a, pour l’heure, pas encore produit les résultats escomptés. L’intensité et l’efficacité de la mise en œuvre de ces politiques, combinées à l’absence de nouvelles initiatives plus pragmatiques lors de la réunion du Politburo en juillet, continuent de décevoir depuis le début de l’année.
Le véritable problème économique auquel la Chine est confrontée aujourd’hui est une crise de confiance généralisée, tant parmi les chefs d’entreprises, en Chine et à l’international, que parmi les consommateurs. Si les exportations ont pu apporter un soutien temporaire à la croissance du PIB cette année, il apparait de plus en plus évident que des mesures de relance budgétaire supplémentaires seront nécessaires pour atteindre l’objectif de croissance annuelle d’environ 5%.
La bonne nouvelle, si l’on peut dire, est que les attentes des investisseurs en matière de politique économique ont été si fortement révisées à la baisse que toute mesure concrète visant à corriger le tir pourrait être bien accueillie par les marchés. Il est vrai que le président chinois Xi, connu pour son obstination, a souvent tardé à changer de cap, comme ce fut le cas avec sa gestion de la politique « zéro-COVID ». Il reste donc à espérer qu’il envisagera également un revirement en termes de politique de relance, afin d’éviter que le ralentissement économique ne se prolonge davantage en Chine.
Ed Yau
Piguet Galland
Spécialiste des marchés asiatiques, Ed Yau a rejoint la banque Piguet Galland en tant que senior fund manager. Il y gère le fonds Asie ex-Japon et Japon, ainsi que les certificats « Emerging Markets Best Opportunities », créé voilà bientôt 10 ans, et « Climate Action », lancé en 2019. De 2013 à 2018, il a occupé les fonctions de directeur de la recherche pour Ellis Munro Asset Management, à Singapour. Auparavant, également à Singapour, il a dirigé le bureau du groupe SIA en tant que responsable du portefeuille de titres et des stratégies d’investissement mises en oeuvre sur l’Asie.
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