• Par Gaëlle Boucher
  • Head of Research
  • bridport & cie

European Additional Tier 1 : retour au calme

Plus connus sous l’appellation AT1, les titres de dette subordonnée ont connu un printemps agité avec la déroute du Credit Suisse et la liquidation d’un portefeuille qui se chiffrait en milliards. Cet accident ne remet pas en cause leur bien-fondé et le rôle primordial qu’ils jouent dans le système bancaire européen.

 

Francesco Mandalà

La confiance ne se perd qu’une fois, comme l’a écrit Gaël Aymon. Les créanciers obligataires les plus juniors en ont fait les frais dans le sauvetage de Crédit Suisse, qui a secoué un marché d’une valeur de 275 milliards de dollars.  17 milliards d’euros d’obligations sont partis en fumée,

jetant le doute sur la classe d’actifs. Quelques lignes égarées au milieu d’un prospectus indigeste pouvaient laisser «entrevoir» un tel recours en cas de sauvetage par l’Etat. Les craintes d’une crise systémique se sont cependant dissipées, de nombreux régulateurs réaffirmant le respect de la hiérarchie d’absorption des pertes en cas de faillite.

Mais de quoi parle-t-on? Les AT1s sont un élément essentiel de la résilience du système bancaire: il s’agit de dettes super-subordonnées, crées après la crise de 2008, pour éviter le recours aux contribuables en cas de faillite bancaire. Souvent appelées «CoCos» ou «Contingent Convertible», c’est la deuxième ligne de front après les actions. Le régulateur, qui impose aux banques un montant minimum d’AT1s – à savoir 1.5% des actifs pondérés par les risques en Europe – peut décider, en cas de résolution, de les convertir en action ou tout simplement les déprécier partiellement voire totalement. Il y a eu un précédent en Europe avec Banco Popular où l’encours d’AT1s s’élevant à 1,35 milliards d’euros fut totalement effacé en 2017 après une fuite massive des dépôts.

Un actif primordial pour les banques

Leur coût d’émission s’est fortement renchéri bien que les primes de risque se soient détendues depuis le pic de mars. En revanche, le marché primaire reste atone. Le japonais SMFG est venu tester l’appétit des investisseurs, pour 1 milliard de dollars, mais les candidats se font rares. Et pourtant, il n’existe pas aujourd’hui d’alternative à cette classe d’actifs car du capital essentiellement constitué d’actions couterait très cher. Les émetteurs les plus solides continueront d’émettre sur la base de rendement plus élevé que par le passé. Les plus petites banques seront exclues de ce marché et devront se tourner vers d’autres solutions plus onéreuses, ce qui pourrait peser sur leur capacité de prêts à l’économie.

Un système bancaire Européen solide

Les grandes banques systémiques sont fortement capitalisées, avec un CET1 moyen de14%, très liquides, avec un LCR moyen de 150%, et fortement régulées. L’Union européenne a récemment présenté de nouvelles règles pour le sauvetage des banques en difficulté, qui doivent encore être négociées par les Etats membres. Pour réduire le risque de contagion des banques de taille moyenne, l’UE proposerait de transférer les comptes d’une banque défaillante à une institution en bonne santé, tout en maintenant l’absorption des pertes par les fonds propres comme principale ligne de défense. Cette réforme s’inscrit dans le cadre de la refonte globale de la supervision du secteur bancaire européen, qui s’est déjà doté d’un fonds de résolution d’environ 80 milliards d’euros. Voilà qui réduirait le risque de fuite des dépôts et donc le risque de solvabilité.

Les AT1s pourraient voir leur structure évoluer. Le plus gros risque aujourd’hui n’est pas le déclenchement des seuils de solvabilité  – 5.125 à 7% CET1- mais une banque déclarée non viable par le régulateur. La Commission Européenne avait lancé un appel à avis en mars 2022 sur le cadre macro prudentiel des banques, qui incluait certaines propositions sur les AT1s. Ces dernières pourraient évoluer vers une structure proche des US Preferred, qui ne contiennent pas de seuil de déclenchement.

Un risque d’extension exagéré

Le marché valorise désormais sans discernement ces instruments à perpétuité. De nombreux investisseurs s’interrogent sur l’exercice des calls 2023 qui, en l’absence de refinancement, entrainerait une forte défiance des investisseurs. Ce dernier n’est pas automatique et doit être approuvé par l’instance de régulation. Il dépend largement de la santé financière de l’émetteur et des conditions de marché. Les banques systémiques sont saines. Il est probable que certains débiteurs ne rembourseront pas leurs obligations à la première date de call, à l’instar de Deutsche Pfanbriefbank en mars dernier, mais ce sera une minorité la moins solide.

Un risque bien rémunéré

En finance, il existe un couple qui ne divorcera jamais, celui du risque et du rendement. Un rendement élevé se fera toujours au prix d’un risque important. Dans une optique de moyen à long terme, les AT1s de champions nationaux offrent un surcroît de rémunération attrayant avec un risque contenu. Autre argument de taille, le rendement moyen des actions (7%) est aujourd’hui bien inférieur à celui des AT1s de notation BBB (8.7%).

Croissance du PIB réel en Chine et indice de confiance des consommateurs.

Gaëlle Boucher
bridport & cie
Gaëlle Boucher dirige la recherche chez bridport depuis 2020. Elle a occupé auparavant différents postes de gérant obligataire chez CCBP, CCR Gestion, AXA et Pictet Asset Management. Elle a été également responsable du Fixed Income Advisory chez Lombard Odier. Gaëlle est titulaire d’un Master II en Finance de l’Université Paris-Dauphine, de la certification Wealth Management Advisor CWMA, du certificat du CFA Institute en investissement ESG et de deux Certificats Executive en Corporate Finance d’HEC Paris.