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  • Charles Bordes
  • Analyste
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Puces made in China : une réalité inéluctable

Les sanctions américaines à l’encontre de la Chine ont eu pour effet de souligner l’intérêt majeur que la Chine prête à une industrie des puces électroniques où elle n’est pas vraiment positionnée. Du moins, pour le moment. A terme, il est clair qu’elle se prépare à une percée dans ce domaine.

Francesco Mandalà

Les premières sanctions américaines visant la Chine ont été infligées sous la présidence Trump, puis ont été renforcées sous celle de Joe Biden. Ces sanctions concernent plus particulièrement l’industrie des puces électroniques. Elles veulent limiter l’accès du pays aux technologies de pointe pouvant avoir un usage militaire, le but étant de freiner les ambitions géostratégiques de Pékin – mais également, en filigrane, de protéger la domination américaine.

Elles ont conduit Huawei, un des leaders mondiaux des équipements télécom, à se voir couper de facto l’accès aux marchés occidentaux, notamment ceux des nouveaux réseaux 5G. Or, ce même Huawei a surpris le monde début septembre, en lançant un téléphone équipé d’un processeur conçu, et surtout fabriqué en Chine avec un raffinement technologique qu’on pensait hors de portée. Mais en y réfléchissant bien, cette surprise n’en est pas une.

Les semiconducteurs, un enjeu éminemment stratégique

Les semiconducteurs – en réalité les transistors – constituent en effet l’élément de base des puces électroniques. On les retrouve partout aujourd’hui dans nos ordinateurs, téléphones, machines à laver, voitures, avions, satellites, réseaux téléphoniques, réseaux électriques, ou encore dispositifs médicaux. Ils règlent nos vies.

La maîtrise de leurs chaînes de fabrication est donc devenue une priorité stratégique. Cela est d’autant plus vrai que ces chaînes se sont parfaitement adaptées à la mondialisation. Il est fort probable que l’appareil sur lequel vous lisez ce texte ait vu son processeur central conçu aux Etats-Unis, mais sorte d’une usine taiwanaise équipées de machines européennes. Or, comme la crise du covid l’a illustré, tout grippage de cette chaîne peut avoir de fâcheuses conséquences pour toutes les applications qui en dépendent.

La Chine joue le long terme

Le gouvernement chinois l’a compris depuis un certain temps. Dès 2015, un plan stratégique visait à s’assurer que 70% des semiconducteurs utilisés localement seraient produits par des acteurs nationaux d’ici 2025. Un objectif ambitieux compromis du fait des sanctions. Il a cependant le mérite d’être clair : la Chine ne veut en aucun cas être dépendante de l’étranger sur ce secteur sensible. Son gouvernement est prêt à des efforts financiers se chiffrant en centaines de milliards de dollars sur la durée pour parvenir à ses fins.

Dès lors, toute mesure de rétorsion ne fait retarder l’inévitable. L’Histoire a démontré que le progrès technologique finit inévitablement par se diffuser, y compris dans des contextes bien moins favorables à la diffusion des idées, des biens et des personnes. Par ailleurs, ces sanctions sont contre-productives : elles ont aussi pour effet de renforcer la volonté d’indépendance et d’élargir le spectre des développements à des domaines qui n’étaient peut-être pas initialement prévus.

Quelles perspectives ?

Si cette volonté apparaît inébranlable, quelques zones d’ombre subsistent à court terme. La puce du dernier Huawei se veut un exploit technologique au vu du contexte, mais rien ne dit que sa fabrication sera rentable du point de vue économique, car rendue plus complexe par les sanctions. De plus, elle accuse au moins deux générations de retard sur les productions occidentales en termes de finesse de gravure, soit la capacité à réduire la taille des transistors sur la puce pour augmenter les performances. Combler ce retard impose le recours à une technologie actuellement disponible seulement chez le fabricant européen ASML.

Quoiqu’il en soit, malgré les pressions américaines, l’avenir semble plutôt radieux pour les acteurs chinois de l’industrie, en particulier les équipementiers, les fonderies et tout leur écosystème de sous-traitants. Ils bénéficient à la fois du soutien du gouvernement et de l’opinion publique, prompte à soutenir les champions nationaux. Le marché intérieur est gigantesque, permettant de justifier quantité d’investissements. Enfin, quand bien même cela passerait par l’établissement d’un système à plusieurs vitesses, le temps pourrait jouer en leur faveur. Quoi de plus normal, après tout, pour le pays qui a enfanté le sage Lao-Tseu, auquel nous devons l’illustre maxime : « si quelqu’un t’a offensé, ne cherche pas à te venger. Assieds-toi au bord de la rivière et bientôt tu verras passer son cadavre. ». Dans le cas présent, vouloir lutter contre le courant semble surtout bien vain.

 Charles Bordes

AtonRà

Charles Bordes est membre de l’équipe d’investissement d’AtonRâ Partners, spécialiste de l’investissement thématique à Genève. Il couvre notamment les stratégies liées à la technologie (intelligence artificielle, robotique, cybersécurité et spatial). Charles a précédemment travaillé comme analyste sell-side pendant six ans, d’abord chez AlphaValue, où il avait la charge du secteur IT Hardware & Technology, puis chez Kepler Cheuvreux, où il couvrait les valeurs Small & Midcap, toujours avec un accent sur les entreprises technologiques. Charles est titulaire d’un master en finance de Kedge Business School (Bordeaux, France).