Thème de l’or – Intégrale 3/4

    • Interview Frédéric Dawance, associé-gérant, et Thierry Zen Ruffinen, directeur adjoint
    • de Pury Pictet Turrettini

« Les investisseurs institutionnels veulent des processus d’extraction toujours plus propres »

Dans ce premier opus de L’Intégrale, série d’entretiens explorant en profondeur un même thème, Frédéric Dawance et Thierry Zen Ruffinen nous font découvrir le marché de l’or sous tous ses angles. Le troisième interview de cette série est consacré aux innovations appelées, à terme, à transformer ce marché pourtant millénaire.

Par Jérôme Sicard

Entre l’or physique et les produits asset-backed, de type ETF ou contrats à terme, comment voyez-vous évoluer les préférences des investisseurs ?

Ceux qui privilégient la sécurité et prennent de l’or pour ne pas encourir les risques liés à d’autres actifs devraient rester à l’écart de produits trop synthétiques. Certains, d’entre eux, adossés ou non à l’or peuvent d’ailleurs être assez attrayants mais ils deviennent vite compliqués à gérer dans des marchés baissiers. À propos des ETF sur l’or que vous mentionnez, ils ont rencontré un certain succès aux Etats-Unis voilà une dizaine d’années jusqu’au jour où leur volume a dépassé celui de l’or qu’il était possible de traiter dans la réalité. La situation était devenue aberrante. Depuis, les esprits sont revenus au calme et l’or physique a retrouvé les faveurs des investisseurs. C’est du moins le cas de manière assez générale en Suisse et en Europe.

De quelle manière les nouvelles technologies, à commencer par la blockchain, peuvent-elles transformer à terme le marché de l’or ?

Une transformation se prépare. Elle commence du côté de la demande. Nous avons parlé des stablecoins adossés à de l’or. Il existe aussi en Inde des cartes de crédit, assez populaires, où l’argent sur le compte, ne serait-ce qu’une poignée de roupies, peut être transformé en quelques grammes d’or. Les nouvelles technologies permettent aujourd’hui ce genre d’achat infinitésimal. On peut donc s’attendre à une petite révolution sur la partie buy side.

Pour ce qui est de l’offre, la transformation est peut-être moins visible mais elle prend forme. C’est la traçabilité avec ce qu’elle implique en termes d’information et de solutions technologiques, comme la blockchain par exemple, nécessaires pour en assurer la collecte, le traitement et la diffusion. Aujourd’hui, la plupart des grands raffineurs ont un système de traçabilité qui couvre l’ensemble de leur chaîne de valeur. Ils proposent des standards qui permettent de suivre le cheminement de leurs lingots, étape par étape. A terme, la blockchain deviendra le dépositaire de cette information, accessible à tous. Aujourd’hui déjà, on trouve sur le marché des lingots poinçonnés d’un QR code qui renvoie à une adresse URL contenant tout leur historique.

L’intelligence artificielle occupe en ce moment les devants de la scène. Peut-elle trouver des applications sur le marché de l’or?

Le monde de l’or reste un monde très manuel, mais l’intelligence artificielle aura certainement un impact. Ce sera plus particulièrement le cas dans l’analyse des données géologiques à des fins d’exploration. Dans le futur, des solutions IA permettront très vraisemblablement aux compagnies minières d’identifier avec plus de précision des structures géologiques susceptibles de contenir de l’or, sous différentes formes.

Quelles grandes innovations ont cours aujourd’hui dans ce secteur ?

La mouvance ESG a rattrapé le monde de l’or qui souffre d’une image encore un peu sale. Il faut garder en tête le fait que la Russie et la Chine sont parmi les plus grands producteurs d’or. Traditionnellement, ce ne sont pas les pays les plus sensibles à des considérations environnementales qui deviennent pourtant un sujet clé chez de nombreux acteurs, à commencer par les investisseurs institutionnels. Ils réclament de plus en plus de garanties sur les modes de production et leur impact, ne serait-ce par exemple que l’impact social et l’empreinte carbone. Dans l’ensemble, ils veulent des processus d’extraction toujours plus propres. L’innovation se fera donc aussi sur ce terrain.

Le bitcoin est-il en mesure de concurrencer l’or comme valeur refuge ?

Le bitcoin et l’or ont certainement des points en commun. Ils ne produisent pas de rendement et ils officient tous deux comme réserves de valeur. Mais il se peut que les comparaisons s’arrêtent là. Il y a d’abord une question de génération. Les générations les plus mûres se sentent vraisemblablement plus à l’aise avec l’idée de détenir de l’or physique. Les plus jeunes, les digital natives, se laissent plus facilement attirer par les crypto-monnaies, plus proches de leur univers.

Sur des points fondamentaux, plus financiers, nous ne voyons pas non plus de corrélation claire entre les mouvements de l’or et ceux du bitcoin. Nous n’avons pas constaté par exemple de liens directs entre les sorties des ETF or et les entrées dans les ETF bitcoins, lancés début 2024. Ce ne sont pas des actifs qui se concurrencent. Ils ont d’ailleurs tous deux bouclé l’année en forte hausse. Ils ont plutôt tendance à se compléter, sachant que le côté fortement spéculatif du bitcoin peut en séduire certains.

Pour la majorité de nos clients, l’or conserve clairement une valeur immémoriale. Ils voient d’abord dans l’or, et il en est ainsi depuis toujours, sa capacité à conserver sa valeur, sous sa forme physique – pièce, lingot, voire même pépite ! –quel que soit l’endroit où la situation dans lesquels vous vous trouvez avec de l’or.

Les nouvelles plateformes online sont-elles appelées à reconfigurer la négoce de l’or ?

Nous n’en sommes pas persuadés. L’or est un des marchés les plus liquides du monde, avec des volumes qui ne sont pas ceux d’une plateforme, et de loin. Plusieurs centaines de tonnes s’échangent chaque jour pour des transactions qui dépassent les 100 milliards de dollars. Mais le London Bullion Market Association, qui contrôle l’essentiel de ce marché, rassemble en fait moins de 200 acteurs. C’est donc un marché très concentré où les tickets délivrés sont très élevés. Nous imaginons mal à court terme une décentralisation de ces échanges. Les opérateurs qui dominent ce marché n’y ont dans l’immédiat aucun intérêt.

Frédéric Dawance

De Pury Pictet Turrettini

Frédéric a rejoint de Pury Pictet Turrettini en 2016. Il participe activement à la gouvernance de la société en siégeant au sein du comité de direction, de stratégie et d’audit. Il a débuté sa carrière chez Pictet à Genève, puis chez CSFB à Zurich et à Londres, ainsi que chez Exane à Paris. Après deux ans en tant que CFO d’une société technologique, il a rejoint Lombard Odier & Cie en 2004, d’abord en tant que responsable du trading, puis en tant que co-responsable des produits d’investissement et enfin en tant que responsable d’un important groupe de banquiers privés. Frédéric est titulaire d’un diplôme HEC de l’Université de Saint-Gall et d’une maîtrise en économie de l’Université de Cologne.

Thierry Zen Ruffinen

De Pury Pictet Turrettini

Avec une solide expérience de l’investissement, Thierry Zen Ruffinen a rejoint de Pury Pictet Turrettini en 2021 en tant que responsable de la distribution, où il s’emploie à conseiller une clientèle institutionnelle. Thierry a précédemment été en charge de la distribution des fonds et des mandats de Mirabaud Asset Management auprès de la clientèle institutionnelle romande. Il a commencé sa carrière en 2004 auprès de la Nouvelle Compagnie de Réassurance en tant qu’actuaire tarificateur. Thierry dispose d’un master en actuariat d’HEC Lausanne.

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