Solutions Investissement

    • Raj Shant
    • Client portfolio manager
    • Jennison Associates

    « Avec l’IA, les gains les plus substantiels se situent aujourd’hui dans les logiciels et les applications »

    Le premier trimestre a marqué un tournant pour les valeurs technologiques. La percée de DeepSeek, une startup chinoise spécialisée dans l’IA low cost, symbolise cette nouvelle phase : la création de valeur s’est vite déplacée du hardware vers les logiciels et les applications. Comme le souligne Raj Shant, Nvidia ne sera probablement plus le leader incontesté des marchés.

    Par Jérôme Sicard

    Les Magnificent Seven ont représenté 43 % des actions du marché mondial l’an dernier. Qu’en est-il de leur performance au premier trimestre 2025?

    En fait, le premier trimestre a été très mauvais pour ce groupe, probablement en raison de sa forte concentration. Cela dit, nous continuons de penser que l’IA générative changera votre monde, le mien et celui de nos enfants au cours des dix prochaines années. Aujourd’hui, nous voyons se dessiner des schémas semblables à ceux que nous avons pu observer par le passé, avec l’internet par exemple. Les premiers retours sur investissement qui suivent de grandes avancées technologiques portent d’abord sur le hardware et les infrastructures.

    Cependant, les gains les plus substantiels se situent généralement au-delà, dans la couche logicielle et la couche applicative. Ce fut déjà le cas avec les mainframes introduits dans les années 60-70, puis avec les PC, internet et plus récemment la blockchain. C’est sur l’internet mobile que des géants comme Amazon, Facebook ou Instagram ont fait reposer leurs modèles économiques et ont pu générer des profits sans précédent, mais ce n’est pas l’infrastructure elle-même qui a produit les rendements les plus significatifs en bourse.

    Nvidia a perdu près d’un cinquième de sa valorisation depuis le début de l’année. Comment les investisseurs doivent-ils désormais aborder la mégatendance de l’IA?

    Au cours de ces neuf derniers mois, nous avons réduit progressivement notre exposition au hardware qui supporte les développements de l’IA. Cela concerne bien sûr les semi-conducteurs — Nvidia en tête — sur lesquels nous avons réalisé d’importants bénéfices ces derniers mois. Nous avons choisi d’alléger cette position car, même s’il reste potentiellement une vague de profits à venir, elle devrait être bien moins marquée que celle observée en 2023 et 2024.

    En janvier, DeepSeek a bien montré que la création de Large Language Models ne demandait pas nécessairement autant de hardware et de puissance de calcul qu’on pouvait d’abord le penser.  D’ailleurs, depuis huit semaines, nous avons vu arriver une vague de nouveaux LLMs, au point que ce n’est plus vraiment un sujet d’actualité.

    À chaque grande révolution, le même schéma se répète : la technologie clé voit son prix chuter. C’est cette forte déflation qui permet d’ailleurs sa diffusion massive et son adoption à grande échelle. Ce n’est donc pas inhabituel. Et c’est Deepseek qui s’est chargé de marquer ce passage du hardware aux logiciels et aux applications, devenus tout de suite plus accessibles.

    Bien évidemment, cela ne se fait jamais sans heurts. Nvidia ne sera probablement plus le grand leader boursier qu’il a été, surtout après les investissements massifs réalisés par les entreprises en 2023 dans les puces GPU. La dynamique s’est poursuivie en 2024, mais aujourd’hui, les signaux sont clairs : le rythme de croissance de Nvidia semble avoir atteint son maximum, les marchés s’interrogeant désormais sur ce que seront les prochains grands moteurs de croissance.

    Quels principaux enseignements tirez-vous du cas DeepSeek, comparé par beaucoup à un épisode de type Spoutnik ?

    Au-delà de cette transition du hardware au software, et de la baisse du prix des infrastructures qui en résulte, DeepSeek a mis en lumière la forte capacité d’innovation de la tech chinoise, portée par des ingénieurs de haut niveau, tous formés en Chine. C’est un fait remarquable, quand on voit les percées majeures réalisées récemment en Europe ou aux États-Unis. Le contraste est frappant. Cela dit, les États-Unis restent un puissant aimant pour les talents venus d’Europe, d’Inde ou de Chine. À long terme, c’est sans doute là que continueront à se concentrer les plus grandes opportunités.

    Elles se situeront très vraisemblablement dans la couche logicielle et la couche applicative que nous avons évoquées. Cette évolution naturelle va bien sûr engendrer une certaine incertitude et de la volatilité, comme nous avons pu le constater encore en janvier.

    Quelles entreprises citeriez-vous à propos de ces couches logicielles et applicatives ?

    Je peux prendre l’exemple de BYD, qui est l’équivalent de Tesla sur le marché chinois. Dans le domaine applicatif, ils ne créent pas d’intelligence artificielle, mais ils l’utilisent pour améliorer l’expérience du conducteur à un prix que personne d’autre n’est en mesure de proposer aujourd’hui. Je pense aussi à Apple. Ils ne disposent pas de leur propre LLM, mais ils sont en mesure de collaborer avec tout le monde. Avec OpenAI aux Etats-Unis, ou avec Alibaba en Chine. Apple a vite compris que la création de valeur ne se situe pas dans le développement de l’IA générative, mais dans son exploitation et c’est bien ainsi qu’ils ont défini leur stratégie.

    Que pensez-vous du rebond relatif d’une Europe peu ou mal positionnée sur ce monde de l’intelligence artificielle ?

    L’Europe a bénéficié de plusieurs facteurs favorables qui ont propulsé ses marchés actions au premier trimestre, mais je m’interroge sur ce qu’il restera de ce rallye d’ici un an. Restons-en dans le domaine de l’intelligence artificielle. Beaucoup d’entreprises européennes essaient de se développer mais elles se heurtent à ce problème récurrent qu’est la réglementation. Avant même d’avoir créé un LLM, on cherche déjà à en figer le concept dans un cadre réglementaire. C’est l’Europe. On pense à réguler avant d’innover. Pour moi, le marché américain gardera une position dominante, car il privilégie d’abord l’innovation, et les opportunités les plus attrayantes se trouveront pendant encore longtemps aux Etats-Unis et en Chine.

    Raj Shant

    Jennison Associates

    Raj Shant est gestionnaire de portefeuille client chez Jennison Associates pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Basé à Londres, il a rejoint la société en 2019. Auparavant, Raj a passé 17 ans chez Newton Investment Management, d’abord en tant que responsable des actions européennes, puis en tant que gestionnaire de portefeuille d’actions mondiales. Au cours de sa dernière année chez Newton, Raj était également responsable de l’investissement durable. Auparavant, il a été responsable des actions européennes au Credit Suisse Asset Management. Il a commencé sa carrière dans la banque d’investissement et l’analyse des actions. Raj est titulaire d’une licence avec mention en économie et gestion de l’université de Leeds.

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