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Anthony Bailly
Rothschild & Co Asset Management
Les marchés européens, premiers bénéficiaires de la politique de Donald Trump
Les marchés européens, premiers bénéficiaires de la politique de Donald Trump
Au fil du trimestre, les atermoiements de la nouvelle administration Trump ont pesé sur le moral des consommateurs et des entreprises américaines. Les dernières décisions sur les tarifs douaniers ont accentué ces craintes, conduisant les observateurs à s’interroger sur une possible récession aux États-Unis.
Quel revirement de situation par rapport au consensus de début d’année qui misait tout sur l‘exceptionnalisme américain que rien ne pouvait arrêter ! Si l’annonce d’une suspension de 90 jours de la mise en place des tarifs douaniers par le président Trump a permis de lever les craintes de récession à court terme, les allers-retours et les annonces contradictoires ont créé une forte instabilité qui pèse sur les perspectives de croissance et sur l’évolution de l’inflation. Pour l’instant, si les « hard datas » semblent résister, les indicateurs avancés et les indices de confiance pointent vers un ralentissement de l’activité. Le caractère inflationniste des mesures annoncées ne permet pas à la Fed d’envisager des baisses de taux, alors même que les anticipations d’inflation sont en hausse.
La situation en Europe est différente. Si la croissance reste molle, les PMI se redressent pour leur composante industrielle, laissant entrevoir que l’on a touché un point bas sans revenir pour autant en territoire d’expansion. L’inflation confirme sa décrue à 2,6 %, et a permis à la BCE de réaliser deux baisses de taux depuis le début de l’année. À noter, il est désormais perceptible que l’instabilité politique et économique a changé de camp. Alors que les élections allemandes et la situation politique française avaient pesé sur les indices européens, les craintes de perte du soutien militaire américain combinées à la guerre commerciale lancée par la nouvelle administration ont conduit l’Europe, comme souvent lorsqu’elle se retrouve dos au mur, à réagir. Les pays du Vieux Continent ont resserré leurs liens et donné une réponse d’unité matérialisée par une volonté de s’affranchir de la tutelle américaine en matière de défense. L’Union européenne s’est lancée dans un vaste plan pour remilitariser la zone, et le nouveau chancelier allemand a proposé d’utiliser ses marges de manœuvre pour faire sauter le verrou budgétaire en engageant un plan de relance des infrastructures allemandes en plus de dépenses militaires significatives.
Avant les annonces tarifaires américaines, la situation semblait se stabiliser en Chine avec des données d’activité qui se redressaient, à l’image de la production industrielle, affichant en mars une forte croissance de 5,9 % depuis le début de l’année en glissement annuel (y/y) et des ventes au détail en hausse de 4,0 % y/y sur la même période. Le coup porté par l’escalade des droits de douanes réciproques avec les États-Unis va cependant impacter l’objectif de croissance annuel de 5 %. Le gouvernement chinois pourrait toutefois lancer à son tour un vaste programme de relance afin de stimuler la croissance interne et libérer le stock d’épargne accumulé par les ménages chinois afin de limiter les effets négatifs de la guerre commerciale.
Les marchés actions européens surperforment leurs homologues américains
Dans ce contexte, les marchés européens affichent malgré tout une performance positive sur le premier trimestre. L’Eurostoxx (dividendes réinvestis) est en hausse de 7,7 % quand le STOXX Europe 600 affiche une progression de 5,9 %, bénéficiant dans une moindre mesure des annonces allemandes. Les secteurs domestiques européens ont principalement tiré les indices, à l’image des banques, de l’assurance et des télécommunications alors que les secteurs cycliques avec une exposition internationale souffraient, comme les loisirs voyages, les médias, la distribution ou les biens de consommation. La technologie en Europe résistait avec un repli limité autour de 3 % malgré les craintes relatives aux impacts de la guerre commerciale et le « Deepseek moment » qui a fortement impacté le secteur aux États-Unis. Autre élément marquant dans l’évolution des indices européens, la surperformance marquée du style Value qui s’élève à 10,7 % par rapport au style Croissance.
Mais sur ce premier trimestre, c’est essentiellement la surperformance des indices européens sur les indices américains qui retiendra l’attention : le S&P 500 est en repli de 8,4 % sur la période et le Nasdaq de 14,1 % ! Pourtant cette surperformance s’inscrit dans le temps. Peu d’investisseurs ont en tête que sur trois ans, en euro, l’Eurostoxx surperforme le S&P 500, ou que le secteur bancaire en Zone euro affiche une performance trois fois supérieure à celle des « Magnificent 7 » sur la période. Et cette dynamique pourrait se poursuivre, comme en témoigne le retour des flux vers l’Europe qui s’amorce, reflet du rééquilibrage des allocations. En effet, depuis le début de l’année, le billet vert est directement impacté, comme l’ensemble des « Trump trades », et il devient de plus en plus difficile de justifier les niveaux de valorisations, proches des points hauts historiques sur le S&P 500, dans un environnement de plus en plus incertain qui impacte notamment la confiance du consommateur américain. Par ailleurs, la baisse des marchés pèse également sur l’effet richesse, à laquelle s’ajoute l’inquiétude vis-vis du caractère inflationniste des taxes douanières annoncées.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que la surperformance de l’Europe en relatif aux marchés américains depuis le début de l’année demeure, même dans la phase de baisse des marchés qui a fait suite au « Liberation Day ». Les marchés européens n’ont donc pas amplifié la chute des marchés américains. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : la perte du statut « refuge » du dollar et la fin de l’exceptionnalisme américain, le stimulus allemand et le plan de remilitarisation qui devraient soutenir la croissance en Europe, la politique de la BCE perçue comme plus accommodante dans un environnement moins inflationniste qu’aux États-Unis et, enfin, des valorisations plus attractives en Europe à 12,2x en P/E (en dessous de leur médiane historique de 13,3x ) contre 18,6x outre-Atlantique (pour une médiane historique à 16x).
Des espoirs en dépit de la guerre commerciale
Pour la suite, nous restons convaincus que les annonces du plan de relance allemand d’infrastructure et le plan de remilitarisation européen restent des soutiens à moyen / long terme pour l’économie européenne. L’impact positif de ces mesures, qui avaient porté les secteurs cycliques et domestiques européens, a été totalement effacé par l’annonce des droits de douane. Même s’il est clair que les premiers éléments tangibles de ces dispositifs sur l’économie ne se feront sentir qu’après 2025, ils symbolisent un changement de politique budgétaire en Europe incarné principalement par la décision allemande, à rebours des États-Unis, où l’administration Trump se focalise sur la réduction du déficit.
Reste, bien sûr, que l’incertitude à court terme, en lien avec les décisions annoncées sur les droits de douane, reste forte. La situation est difficile à anticiper, d’autant qu’elle dépend de la décision d’un seul homme. Donald Trump va-t-il maintenir sa posture, au risque d’entraîner les États-Unis et probablement l’économie mondiale en récession ? L’Eurostoxx a, en tout cas, effacé toutes les nouvelles positives de début d’année et commence à intégrer un ralentissement de l’activité. Les tarifs douaniers impacteront évidemment les partenaires commerciaux des États-Unis, mais l’Union européenne ne semble pas être une priorité pour Washington. Cette situation pourrait permettre à la croissance de la zone de se maintenir jusqu’à la mise en place du stimulus allemand. D’autres catalyseurs pourraient aider les marchés européens à plus court terme : la résolution du conflit Russo-Ukrainien relégué au second plan, ainsi qu’un plan de relance en Chine dont l’Europe serait le principal bénéficiaire indirect.
Anthony Bailly
Rothschild & Co Asset Management
Anthony Bailly débute sa carrière en audit financier et commissariat aux comptes dans la division moyennes et grandes entreprises dans les secteurs de la télécommunication et des médias chez Arthur Andersen puis chez Ernst & Young (2001 à 2007). Il a intégré Rothschild & Co Asset Management en février 2007 comme analyste financier sur les secteurs de l’automobile, des médias, des technologies et de la communication. En septembre 2016, il devient co-gérant des fonds actions grandes capitalisations pour la zone Euro/Europe. En 2020, il devient Gérant actions et membre du Comité d’Investissement au sein de Rothschild & Co Asset Management. En 2024, il devient Responsable de la Gestion Actions européennes de Rothschild and Co AM. Anthony est diplômé de Kedge Business School Option Finance et d’un DEUG en Sciences économiques de l’université Bordeaux IV.
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Matis, qui se lance sur le marché suisse, propose des co-investissements, sous forme d’obligations convertibles, dans des œuvres de majeures de grands artistes contemporains. Ce sont des noms emblématiques, qui ont profondément marqué l’histoire de l’art, avec une cote solide, bien établie, comme le précise ici Hugo Rouast.
Par Jérôme Sicard
Comment se positionne aujourd’hui Matis sur le marché de l’art ?
Nous sommes une société d’investissement spécialisée dans l’art contemporain. Nous proposons à nos investisseurs de co-investir dans des œuvres majeures de grands artistes de l’après-guerre avec un ticket d’entrée à 20 000 euros, environ 19’000 francs.
Le marché de l’art a cette particularité d’être très peu endetté — moins de 1 % La commercialisation des œuvres se fait essentiellement via les galeries ou les maisons de vente aux enchères. Lorsqu’une galerie choisit d’exposer un artiste, elle achète l’œuvre avec ses fonds propres. Selon les montants en jeu, cela peut représenter un effort de trésorerie très conséquent.
C’est là qu’intervient Matis. Notre modèle repose sur le co-investissement. L’oeuvre est financée par plusieurs investisseurs et détenue par une société dédiée. Elle est ensuite « consignée », c’est-à-dire confiée à une galerie, non pas pour être stockée mais pour être exposée et mise en vente. L’avantage pour la galerie, c’est qu’elle n’a plus à mobiliser de capitaux pour acheter l’œuvre
Les investisseurs, eux, souscrivent à des obligations convertibles adossées à une œuvre précise. Ils savent donc exactement dans quoi ils investissent. Notre sélection se concentre sur les 100 à 150 artistes les plus importants de l’après-guerre tels que Andy Warhol, Pablo Picasso, Pierre Soulages, Josef Albers ou Yves Klein.
Quel est votre track record à ce jour ?
Matis a été créé en 2023. En avril, nous avons dépassé les 50 millions d’euros de collecte, avec lesquels nous avons procédé à l’acquisition de 52 œuvres dont 10 ont déjà été revendues.
Comment approchez-vous ce marché de l’art contemporain en tant qu’acheteur ?
Il y a plusieurs façons d’investir dans l’art. Certains choisissent de se concentrer sur un ou sur des artistes émergents, en espérant trouver la perle rare. C’est une approche tout à fait légitime, mais ce n’est pas notre métier. Et surtout, ce n’est pas un risque que nous souhaitons faire porter à nos clients.
Notre approche consiste à travailler sur des artistes qui ont déjà une cote solide — stable, voire en légère progression. L’objectif, c’est de générer de la valeur non pas en spéculant sur leur succès futur, mais en battant le marché à l’acquisition
Ces opportunités se présentent régulièrement. Il y a un parallèle à établir avec le marché de l’immobilier, où les propriétaires sont parfois obligés de céder un objet rapidement pour des besoins de liquidité. C’est là que Matis intervient. Nous sommes capables de nous positionner très rapidement Cette réactivité nous permet d’accéder à des opportunités que d’autres acteurs ne peuvent pas saisir.
Comment se passe la sélection des œuvres?
Nous nous focalisons d’abord sur l’art contemporain, tout simplement parce que c’est le segment le plus dynamique du marché. Il représente aujourd’hui plus de 50 % des transactions, qu’il s’agisse de ventes aux enchères ou de ventes privées.
Nous avons parfois une image très élitiste du marché de l’art, mais la réalité est différente. Environ 93 % des œuvres échangées se vendent à moins de 50’000 dollars.
En revanche, le véritable potentiel de valorisation se situe dans une autre tranche : celle des œuvres estimées entre 500’000 et 5 millions de dollars. Ce segment-là — qui ne représente qu’environ 1 % du volume des transactions — concentre plus de la moitié des montants négociés sur le marché. C’est précisément là que nous nous positionnons, sur des œuvres iconiques d’artistes emblématiques, avec une vraie profondeur de marché et un réel potentiel de revente.
Combien d’artistes suivez-vous sur vos radars ?
L’indice Artprice 100, qui regroupe les cent artistes les plus échangés sur le marché, est une base assez représentative. Et si on élargit un peu, nous suivons de près une sélection d’environ 150 artistes. Nous nous intéressons surtout à des noms qui ont profondément marqué l’histoire de l’art.
Un critère clé pour nous est leur présence dans les musées. Elle confère une forme de reconnaissance institutionnelle, qui renforce la stabilité de la cote dans le temps. À l’inverse, nous pouvons prendre l’exemple d’artistes extrêmement populaires, dont certaines œuvres atteignent des montants très élevés. Pourtant, nous ne les intégrons pas à notre univers d’investissement. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont pas ou peu présents dans les musées. Leur cote pourrait donc être plus vulnérable, notamment en cas de retournement de marché.
Pourquoi le choix des obligations convertibles pour vos co-investissements ?
Ce choix repose sur deux critères essentiels qui sont la fiscalité et la sécurité. Le choix des obligations convertibles permet de ne pas alourdir l’investissement avec la charge fiscale de la double imposition au niveau de la société qui détient l’œuvre. Or, notre opération est avant tout financière : elle vise à dégager un rendement substantiel pour l’investisseur, ce qui s’avère plus efficient avec des obligations convertibles.
Et comme leur nom l’indique, ces obligations peuvent aussi se transformer en actions. Si, au bout de cinq ans, l’œuvre n’a pas été vendue, les investisseurs deviennent automatiquement copropriétaires de l’œuvre, au prorata de leur investissement. Ils ont alors la liberté de décider de la suite : conserver l’œuvre ou la mettre en vente — probablement via une maison d’enchères dans ce scénario. La véritable sécurité pour l’investisseur, c’est l’œuvre elle-même. Elle constitue le collatéral.
Quels sont les rendements obtenus sur les opérations que vous avez menées jusqu’à présent?
Nous avons opéré la cession de 10 œuvres sur les 52 acquisitions effectuées. La plus value moyenne s’est élevée à 16,5 % nette de frais, avec une durée de détention moyenne d’un peu moins de huit mois. Nous arrivons donc à un TRI de 54.4 %. Le chiffre peut sembler impressionnant, mais il n’est pas dû au prix auquel nous avons revendu l’œuvre. C’est la rapidité avec laquelle nous avons trouvé l’acquéreur qui rend ce TRI aussi élevé. Notre force réside précisément là, dans notre vitesse d’exécution.
Avant même d’acheter une œuvre, nous avons effectué un énorme travail d’anticipation. L’idée, ce n’est vraiment pas d’acheter pour conserver, mais d’acquérir uniquement ce que nous pensons pouvoir revendre dans un délai cible de deux à cinq ans. C’est ce qui nous a permis, par exemple, de revendre récemment une œuvre de Josef Albers en moins de cinq mois.
Hugo Rouast
Matis
Chez Matis, Hugo Rouast occupe les fonctions de Head of Advisory pour le marché suisse, l’un des principaux axes de développement de la société. Hugo possède plus de dix ans d’expérience dans les domaines de la gestion d’actifs et des relations investisseurs. Il a initié et développé plusieurs opportunités de co-investissement alternatif en Suisse, et il a également renforcé avec succès des équipes de relations investisseurs à Genève et à Zurich, notamment chez Foxstone. Hugo Rouast est diplômé de l’ecole Supérieure de Commerce de Clermont-Ferrand.
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Le deuxième volet de L’Intégrale s’intéresse à la transition énergétique – ou plutôt, à l’adaptation énergétique, selon l’expression privilégiée par Alexis Sautereau et Pierre Mouton. Ce troisième interview de la série porte sur le thème de l’électrification, avec des changements de modèles assez radicaux qui voient l’émergence de réseaux intelligents capables de gérer des flux dans de multiples directions.
Comment adapter le réseau électrique à l’électrification massive de secteurs comme l’industrie ou les transports?
D’abord, l’écart entre l’Europe et les États-Unis en matière d’infrastructures électriques est frappant. Contrairement à l’image souvent véhiculée, l’Europe n’est pas nécessairement en retard. Un simple détour par Malibu, en Californie, suffit pour constater le triste sort de certaines infrastructures électriques américaines, laissées quasiment à l’abandon depuis des décennies. À l’inverse, de nombreuses villes européennes ont enterré leurs réseaux et modernisé leur distribution électrique avec énormément de rigueur.
Ce sera peut-être plus facile pour de nombreux pays émergents, dont les infrastructures sont inexistantes ou peu développées, il est souvent plus simple de construire du neuf que de moderniser un système hérité, surtout lorsque les nouveaux modèles n’obéissent plus aux schémas traditionnels.
Jusqu’aujourd’hui, les réseaux électriques étaient essentiellement centralisés : quelques grandes installations produisaient l’énergie, ensuite acheminée vers les consommateurs. C’est un modèle, vertical et unidirectionnel, qui rappelle celui de la télévision traditionnelle : un contenu produit par quelques-uns, diffusé à tous, sans interaction.
Aujourd’hui, avec la montée en puissance des énergies renouvelables et la multiplication des sources de production, nous passons à un modèle distribué et interactif. C’est un peu comme le passage de la télévision à Internet : d’un système “one way” à un écosystème “two way” avec une infinité de producteurs et de points d’échange. L’électricité devient une affaire de réseaux intelligents, capables de gérer des flux dans toutes les directions.
Deux axes sont donc prioritaires : le renouvellement des infrastructures, dans une logique décentralisée, interconnectée, et la gestion intelligente de ces réseaux, grâce notamment à l’intelligence artificielle, pour optimiser les flux, et équilibrer l’offre et la demande en temps réel.
En dehors des transports, dans quels secteurs l’électrification ouvre-t-elle les perspectives les plus prometteuses?
C’est dans l’industrie que les opportunités sont les plus substantielles, mais aussi les plus complexes. Certains procédés industriels reposent encore aujourd’hui presque exclusivement sur les énergies fossiles, et le passage à l’électrique est encore loin d’être acquise, comme par exemple dans la fabrication du ciment : à l’heure actuelle, c’est techniquement impossible. On se heurte là aux limites de la physique, mais aussi à celles de nos connaissances actuelles.
Cela dit, ce sont justement ces contraintes qui laissent entrevoir d’immenses marges de progression, mais elles demandent énormément d’efforts – et de capitaux – en matière de recherche et de développement.
Nous nous plaçons par ailleurs dans une logique nouvelle : il ne s’agit plus uniquement d’augmenter la production ou de réduire la consommation d’énergie, mais d’ajuster précisément la puissance nécessaire à la puissance réellement disponible. Cela suppose une gestion fine, intelligente, en temps réel, des flux énergétiques.
C’est sur ce terrain celui de l’optimisation systémique, que les avancées sont les plus rapides et les plus mesurables. Cette exigence est d’autant plus forte que certains secteurs, comme les data centers, ne tolèrent aucune faille. Les niveaux de fiabilité attendus vont devenir de plus en plus élevés, avec des besoins de redondance que les usages domestiques n’exigent pas.
Quels grands acteurs vous semblent les mieux positionnés sur le thème de l’électrification?
On voit aujourd’hui deux mondes qui convergent sur ce thème. D’un côté, les grands groupes industriels, historiques, et de l’autre, des nouveaux entrants beaucoup plus agiles, plutôt dans les domaines du software ou de l’intelligence artificielle. Des acteurs comme Vesta, par exemple, se positionnent plutôt sur la gestion intelligente des réseaux.
Chez les industriels « classiques », on retrouve des noms bien connus – parfois directement, parfois à travers des filiales, notamment lorsqu’il s’agit d’aller chercher des financements de manière plus ciblée. C’est le cas de Genova, la filiale de General Electric. D’autres groupes fonctionnent de manière plus intégrée, comme Siemens ou Schneider.
Autour de ces poids lourds gravitent de nombreuses petites entreprises, très innovantes, qui se positionnent à différents niveaux de la chaîne de valeur. Mais dans la plupart des cas, ces structures finissent par se faire absorber Les grands groupes y voient un moyen d’enrichir leur offre, de capter des briques technologiques clés et de répondre plus efficacement aux besoins clients.
Parce qu’au fond, pour un client, il est beaucoup plus simple d’avoir un ou deux interlocuteurs capables de gérer l’ensemble de son écosystème énergétique, plutôt que de devoir coordonner une douzaine de prestataires. L’enjeu, c’est la lisibilité et l’intégration.
À terme, les énergies renouvelables ont-elles vraiment la capacité de soutenir l’électrification croissante de la demande énergétique?
À ce stade, nous voudrions faire une petite parenthèse sur ce qu’on appelle la « transition énergétique ». Nous avons des doutes sur la direction réelle de cette transition. Il serait plus juste – et plus raisonnable – de parler d’adaptation énergétique. Parce qu’on ne basculera pas, du jour au lendemain – et peut-être même jamais – vers un système entièrement alimenté par des sources renouvelables. C’est tout simplement irréaliste.
Les énergies renouvelables occupent aujourd’hui une place non négligeable dans le mix énergétique, c’est vrai. Mais tant qu’on n’aura pas résolu la question du stockage de longue durée, elles resteront structurellement secondaires.
Sans percée scientifique majeure, il est donc difficile d’imaginer un mix énergétique qui se passerait des énergies fossiles à moyen terme. Et d’ailleurs, on le voit déjà : le gaz naturel gagne du terrain. On redécouvre ses vertus. Il est abondant, son coût marginal est faible, et surtout, les infrastructures pour le produire, le transporter et le distribuer existent déjà.
Aujourd’hui, le gaz naturel représente environ 23 % du mix énergétique mondial. C’est la troisième source d’énergie la plus utilisée dans le monde, après le pétrole et le charbon. Et si la transition continue de montrer ses limites, il n’est pas exclu que cette part augmente dans les années à venir.
Menée à grande échelle, comment l’électrification va-t-elle impacter les prix pour les consommateurs?
La politique a très certainement un rôle à jouer, mais il est tout aussi essentiel de limiter les interventions étatiques. Il est indéniable qu’il faut faire évoluer les infrastructures, ce qui entraîne des coûts, mais il faut bien savoir que la question des prix ne provient pas uniquement de ces infrastructures. La crise ukrainienne a mis en lumière des lacunes stratégiques, notamment en matière de diversification des sources d’approvisionnement. Il est difficile de comprendre comment l’Allemagne a pu dépendre exclusivement de la Russie pendant si longtemps !
En ce qui concerne les besoins d’investissement, il existe une distinction claire entre la consommation industrielle et la consommation domestique. Les deux segments ne nécessitent pas les mêmes investissements. Cependant, jusqu’à présent, les évolutions des infrastructures, des modes de production et de distribution n’ont pas décidé des prix.
Quels sont, selon vous, les problèmes majeurs à résoudre encore dans ce vaste chantier de l’électrification, en dehors du stockage longue durée pour les énergies renouvelables?
La disponibilité des ressources naturelles est inquiétante. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de quantité, mais aussi de qualité. Les gisements de métaux deviennent de moins en moins riches : les teneurs diminuent, ce qui oblige à extraire et traiter des volumes de roche beaucoup plus importants pour obtenir la même quantité de métal. Une tonne de minerai pouvait autrefois contenir jusqu’à 10 % de cuivre. Aujourd’hui, cette proportion est tombée souvent sous la barre des 1 %. Conséquence : les coûts d’exploitation explosent, les rendements économiques diminuent, et il devient de plus en plus difficile de justifier certains investissements sur le long terme dans l’extraction de métaux. Maintenant, plus les contraintes augmentent, plus les incitations à trouver des solutions innovantes se multiplient. C’est là que se créent beaucoup d’opportunités.
Pierre Mouton répondra aux questions de Jérôme Sicard le 13 mai à Genève, à l’hôtel Métropole, lors de l’évènement Podium organisé par SPHERE.
Pierre Mouton
NS Partners
Pierre Mouton a rejoint NS Partners en 2003. Il dirige les stratégies Long Only du groupe et il est membre également du comité d’allocation d’actifs. Pierre a débuté sa carrière financière en 1993 chez AG2R La Mondiale, où il a successivement géré des portefeuilles monétaires, obligataires et actions, avant de rejoindre en 2000 Fiduciary Trust à Genève et d’entrer ensuite chez NS Partners comme gestionnaire de portefeuille. En 2004, il a co-fondé Messidor Finance, avant de revenir chez NS Partners en 2010. Pierre Mouton est titulaire d’une licence et d’un master en finance, actuariat et gestion de portefeuille de SKEMA Business School à Lille, France.
Alexis Sautereau
NS Partners
Alexis Sautereau a rejoint NS Partners en 2020. Il a plus de 20 ans d’expérience dans divers secteurs financiers. Il a commencé par travailler dans le trading d’options et d’actions avant de s’orienter vers le conseil en technologie puis la finance d’entreprise. En 1999, il rejoint Unigestion, l’un des leaders européens de la gestion alternative, dont il devient directeur exécutif, avant de le quitter en 2002 pour fonder Jam Research.
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Le premier trimestre a marqué un tournant pour les valeurs technologiques. La percée de DeepSeek, une startup chinoise spécialisée dans l’IA low cost, symbolise cette nouvelle phase : la création de valeur s’est vite déplacée du hardware vers les logiciels et les applications. Comme le souligne Raj Shant, Nvidia ne sera probablement plus le leader incontesté des marchés.
Par Jérôme Sicard
Les Magnificent Seven ont représenté 43 % des actions du marché mondial l’an dernier. Qu’en est-il de leur performance au premier trimestre 2025?
En fait, le premier trimestre a été très mauvais pour ce groupe, probablement en raison de sa forte concentration. Cela dit, nous continuons de penser que l’IA générative changera votre monde, le mien et celui de nos enfants au cours des dix prochaines années. Aujourd’hui, nous voyons se dessiner des schémas semblables à ceux que nous avons pu observer par le passé, avec l’internet par exemple. Les premiers retours sur investissement qui suivent de grandes avancées technologiques portent d’abord sur le hardware et les infrastructures.
Cependant, les gains les plus substantiels se situent généralement au-delà, dans la couche logicielle et la couche applicative. Ce fut déjà le cas avec les mainframes introduits dans les années 60-70, puis avec les PC, internet et plus récemment la blockchain. C’est sur l’internet mobile que des géants comme Amazon, Facebook ou Instagram ont fait reposer leurs modèles économiques et ont pu générer des profits sans précédent, mais ce n’est pas l’infrastructure elle-même qui a produit les rendements les plus significatifs en bourse.
Nvidia a perdu près d’un cinquième de sa valorisation depuis le début de l’année. Comment les investisseurs doivent-ils désormais aborder la mégatendance de l’IA?
Au cours de ces neuf derniers mois, nous avons réduit progressivement notre exposition au hardware qui supporte les développements de l’IA. Cela concerne bien sûr les semi-conducteurs — Nvidia en tête — sur lesquels nous avons réalisé d’importants bénéfices ces derniers mois. Nous avons choisi d’alléger cette position car, même s’il reste potentiellement une vague de profits à venir, elle devrait être bien moins marquée que celle observée en 2023 et 2024.
En janvier, DeepSeek a bien montré que la création de Large Language Models ne demandait pas nécessairement autant de hardware et de puissance de calcul qu’on pouvait d’abord le penser. D’ailleurs, depuis huit semaines, nous avons vu arriver une vague de nouveaux LLMs, au point que ce n’est plus vraiment un sujet d’actualité.
À chaque grande révolution, le même schéma se répète : la technologie clé voit son prix chuter. C’est cette forte déflation qui permet d’ailleurs sa diffusion massive et son adoption à grande échelle. Ce n’est donc pas inhabituel. Et c’est Deepseek qui s’est chargé de marquer ce passage du hardware aux logiciels et aux applications, devenus tout de suite plus accessibles.
Bien évidemment, cela ne se fait jamais sans heurts. Nvidia ne sera probablement plus le grand leader boursier qu’il a été, surtout après les investissements massifs réalisés par les entreprises en 2023 dans les puces GPU. La dynamique s’est poursuivie en 2024, mais aujourd’hui, les signaux sont clairs : le rythme de croissance de Nvidia semble avoir atteint son maximum, les marchés s’interrogeant désormais sur ce que seront les prochains grands moteurs de croissance.
Quels principaux enseignements tirez-vous du cas DeepSeek, comparé par beaucoup à un épisode de type Spoutnik ?
Au-delà de cette transition du hardware au software, et de la baisse du prix des infrastructures qui en résulte, DeepSeek a mis en lumière la forte capacité d’innovation de la tech chinoise, portée par des ingénieurs de haut niveau, tous formés en Chine. C’est un fait remarquable, quand on voit les percées majeures réalisées récemment en Europe ou aux États-Unis. Le contraste est frappant. Cela dit, les États-Unis restent un puissant aimant pour les talents venus d’Europe, d’Inde ou de Chine. À long terme, c’est sans doute là que continueront à se concentrer les plus grandes opportunités.
Elles se situeront très vraisemblablement dans la couche logicielle et la couche applicative que nous avons évoquées. Cette évolution naturelle va bien sûr engendrer une certaine incertitude et de la volatilité, comme nous avons pu le constater encore en janvier.
Quelles entreprises citeriez-vous à propos de ces couches logicielles et applicatives ?
Je peux prendre l’exemple de BYD, qui est l’équivalent de Tesla sur le marché chinois. Dans le domaine applicatif, ils ne créent pas d’intelligence artificielle, mais ils l’utilisent pour améliorer l’expérience du conducteur à un prix que personne d’autre n’est en mesure de proposer aujourd’hui. Je pense aussi à Apple. Ils ne disposent pas de leur propre LLM, mais ils sont en mesure de collaborer avec tout le monde. Avec OpenAI aux Etats-Unis, ou avec Alibaba en Chine. Apple a vite compris que la création de valeur ne se situe pas dans le développement de l’IA générative, mais dans son exploitation et c’est bien ainsi qu’ils ont défini leur stratégie.
Que pensez-vous du rebond relatif d’une Europe peu ou mal positionnée sur ce monde de l’intelligence artificielle ?
L’Europe a bénéficié de plusieurs facteurs favorables qui ont propulsé ses marchés actions au premier trimestre, mais je m’interroge sur ce qu’il restera de ce rallye d’ici un an. Restons-en dans le domaine de l’intelligence artificielle. Beaucoup d’entreprises européennes essaient de se développer mais elles se heurtent à ce problème récurrent qu’est la réglementation. Avant même d’avoir créé un LLM, on cherche déjà à en figer le concept dans un cadre réglementaire. C’est l’Europe. On pense à réguler avant d’innover. Pour moi, le marché américain gardera une position dominante, car il privilégie d’abord l’innovation, et les opportunités les plus attrayantes se trouveront pendant encore longtemps aux Etats-Unis et en Chine.
Raj Shant
Jennison Associates
Raj Shant est gestionnaire de portefeuille client chez Jennison Associates pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Basé à Londres, il a rejoint la société en 2019. Auparavant, Raj a passé 17 ans chez Newton Investment Management, d’abord en tant que responsable des actions européennes, puis en tant que gestionnaire de portefeuille d’actions mondiales. Au cours de sa dernière année chez Newton, Raj était également responsable de l’investissement durable. Auparavant, il a été responsable des actions européennes au Credit Suisse Asset Management. Il a commencé sa carrière dans la banque d’investissement et l’analyse des actions. Raj est titulaire d’une licence avec mention en économie et gestion de l’université de Leeds.
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Le deuxième volet de L’Intégrale s’intéresse à la transition énergétique – ou plutôt, à l’adaptation énergétique, selon l’expression privilégiée par Alexis Sautereau et Pierre Mouton. Ce deuxième interview de la série porte plus particulièrement sur le thème des infrastructures et l’impact majeur que les géants de la tech auront sur leur développement.
Par Jérôme Sicard
Comment adapter les infrastructures actuelles pour réduire la consommation d’énergie dans les transports ?
Il va d’abord falloir prendre son mal en patience. Le retard accumulé est considérable. Les États-Unis en sont le parfait exemple : on a misé sur Internet, mais on a oublié que les routes et les câbles ont aussi leur importance. Résultat, on part pour quinze ans de mise à niveau des réseaux. Aujourd’hui, dans le mix énergétique, on arrive encore à composer, mais l’optimisation complète prendra du temps. Il y aura forcément un décalage entre l’état actuel des infrastructures et ce vers quoi on veut tendre. Il va donc falloir aussi accepter cette réalité : engager des dépenses aussi importantes et les amortir dans le temps aura forcément un effet inflationniste.
Quels grands axes vont décider du renouvellement de ces infrastructures ?
C’est un chantier monumental. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’il faudra, à terme, remplacer ou installer 85 millions de kilomètres de câbles, soit un investissement de 1’500 milliards de dollars. Et encore, ce n’est qu’une partie du problème.
Une fois que les infrastructures seront remises au goût du jour pour la partie hardware, il faudra alors adapter les systèmes. C’est plutôt la bonne nouvelle car nous allons vraiment rentrer dans une phase d’optimisation. La gestion intelligente de la production d’énergie et de sa distribution sera la clé de cette transition, ou plutôt de cette adaptation énergétique.
Il y a déjà des solutions qui font déjà leurs preuves. Une plateforme comme Kraken, utilisée par de grands fournisseurs d’électricité, comme EDF, est en train de s’imposer à l’échelle mondiale. Mais son adoption tardive montre aussi à quel point ce secteur est encore largement archaïque.
Quels sont les principaux problèmes rencontrés par les producteurs aujourd’hui ?
Certains problèmes sont très concrets. Si l’on veut développer les énergies renouvelables, installer des éoliennes, des champs solaires ou même des parcs offshore, il faut trouver du terrain ou de l’espace, et ce n’est pas toujours évident.
D’autres obstacles sont plus complexes, notamment ceux liés à la réglementation, surtout en Europe, où les gouvernements contrôlent les marchés de l’énergie et les utilisent parfois comme outils politiques. Prenez la France : l’an prochain, les tarifs de l’électricité vont baisser de 15 %. Nous doutons qu’EDF se satisfasse de ces annonces. On ne peut pas demander aux producteurs de développer des énergies renouvelables, qui coûtent cher à produire, tout en leur imposant de vendre leur électricité à un prix trop bas. Si on les serre des deux côtés, ça ne peut pas fonctionner.
Les grands producteurs doivent-ils se réinventer ?
Il ne s’agit pas pour les grands producteurs de se réinventer, mais plutôt de repenser le mix énergétique. Regardez l’évolution de Total : l’entreprise investit massivement dans un réseau de bornes de recharge sur les autoroutes. Ce n’est pas un simple coup de communication, c’est une démarche industrielle d’envergure.
On observe la même logique avec le retour des centrales nucléaires, réactivées par les grands acteurs de la tech. C’est un basculement stratégique considérable. L’enjeu, ce n’est pas de tout révolutionner, mais d’aborder l’énergie avec de nouvelles perspectives.
Des percées technologiques peuvent-elles permettre la modernisation de ces infrastructures ?
L’intelligence artificielle va clairement apporter beaucoup de valeur et accélérer les progrès, mais il faut bien comprendre, au risque de se répéter, qu’on parle ici d’optimisation plus que de révolution. Aujourd’hui, les infrastructures, notamment les échangeurs et les systèmes d’interconnexion des réseaux, sont complètement obsolètes, dépassés technologiquement. Donc oui, il y a des évolutions, mais pas de transformation radicale à envisager du côté matériel.
On modernise surtout des systèmes qui ont entre 30 et 50 ans. Le défi est énorme. L’enjeu repose surtout sur l’amélioration de la fluidité et de l’efficacité des réseaux. C’est là que les vraies avancées se décident, notamment grâce aux dernières générations de logiciels. L’intelligence artificielle va permettre aux opérateurs de franchir un cap majeur dans la gestion des réseaux. Et de démontrer accessoirement que la rentabilité ne dépend pas uniquement du coût de la matière première.
Dans l’immédiat, ces systèmes coûtent malheureusement assez cher et les infrastructures existantes ne sont pas encore totalement adaptées pour leur exploitation.
Faut-il repenser les infrastructures pour accélérer l’intégration des énergies renouvelables ?
Oui, c’est l’un des enjeux majeurs auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Jusqu’à présent, nous fonctionnions avec des réseaux très centralisés : l’énergie était produite en un point et distribuée partout. Demain, nous entrerons dans un modèle totalement différent, où la production sera décentralisée et répartie sur des territoires entiers. Cela impose de nouvelles contraintes en termes de gestion du réseau et nécessite une architecture autrement plus flexible et forcément innovante.
Si l’on pousse la réflexion plus loin, cela pourrait aller jusqu’aux mini-centrales nucléaires comme nouveaux pôles de production. Je ne parle pas forcément de centrales de quartier… mais après tout, pourquoi pas ? On parvient bien à mettre une centrale nucléaire dans un sous-marin, alors l’idée mérite d’être explorée. Et elle le sera.
Donc, oui, il faut repenser les infrastructures, mais il faut quand même revenir sur le cas du gaz naturel. Il est en passe de prendre une place considérable dans le mix énergétique en raison de sa disponibilité, de son impact modéré en termes d’émission mais aussi du fait que les infrastructures existent déjà dans son cas ! elles demandent juste des adaptations à la marge.
La volonté de Microsoft de produire et de contrôler sa propre énergie est-elle appelée à se généraliser, selon vous ?
Je n’en suis pas certain qu’il soit possible aujourd’hui d’envisager ce genre de modèle en Europe. Aux Etats-Unis, oui, il est appelé à se généraliser. Microsoft n’est pas seul. Google, Meta, voire même JP Morgan, tous les grands de la data s’y mettent, avec des moyens considérables, car la facture énergétique liée à la gestion de leurs exaoctets de données justifie ces investissements en amont.
C’est assez paradoxal, dans la mesure où la souveraineté énergétique est revenue au cœur des débats ! Pourtant, nous assistons bien à une privatisation des infrastructures énergétiques, autrefois gérées par les collectivités. Cela souligne aussi l’ampleur du besoin : ces entreprises repensent en profondeur la manière dont elles dimensionnent leur consommation énergétique. A raison : Amazon est devenu le premier acheteur mondial d’énergies renouvelables.
Bien sûr, les montants en jeu – plusieurs milliards de dollars – impressionnent. Mais ce qui est encore plus fascinant, c’est l’exigence de fiabilité imposée à ces infrastructures. Les niveaux de service sont bien plus stricts que chez les producteurs classiques : la marge d’erreur est quasiment nulle, bien au-delà de ce qui nous semblerait raisonnable du point de vue d’un utilisateur domestique.
Ces entreprises peuvent-elles devenir des producteurs à part entière et proposer leur surplus sur le marché ?
En réalité, ce n’est pas Microsoft qui produit directement, mais Constellation. Il s’agit d’un partenariat, mais l’objectif est bien de sécuriser un approvisionnement. Et cela fonctionne. C’est la toute-puissance de ces grandes entreprises, devenues de véritables écosystèmes.
Bill Gates a toujours été un fervent défenseur de l’énergie nucléaire. Finalement, c’est le secteur privé qui va montrer la voie. Ce sont des entreprises qui prennent l’initiative sur des enjeux énergétiques aussi importants, où se joue en partie l’avenir de l’humanité. C’est un changement de paradigme assez incroyable.
Cela rappelle un peu l’histoire de SpaceX et de la fusée réutilisable. Faire revenir un lanceur était le Graal de tous les acteurs du spatial, et c’est une entreprise privée qui a réussi en premier.
Il faut bien comprendre que ces géants ne font que s’inscrire dans une logique économique et industrielle de long terme, répondant ainsi aux fondamentaux d’un marché en pleine mutation.
Parmi les nouvelles technologies qui émergent dans le secteur de l’énergie, lesquelles vous semblent les plus intéressantes d’un point de vue financier ?
L’intelligence artificielle appliquée à l’optimisation des logiciels et à l’adaptation des réseaux a un potentiel extraordinaire. Il s’agit d’améliorer la gestion des infrastructures, la distribution et l’efficacité des services. Le saut technologique par rapport aux systèmes actuels est colossal. Pour la production d’énergie à proprement parler, l’hydrogène à grande échelle reste une piste très intéressante. Malheureusement, son coût reste pour le moment assez prohibitif.
Pierre Mouton
NS Partners
Pierre Mouton a rejoint NS Partners en 2003. Il dirige les stratégies Long Only du groupe et il est membre également du comité d’allocation d’actifs. Pierre a débuté sa carrière financière en 1993 chez AG2R La Mondiale, où il a successivement géré des portefeuilles monétaires, obligataires et actions, avant de rejoindre en 2000 Fiduciary Trust à Genève et d’entrer ensuite chez NS Partners comme gestionnaire de portefeuille. En 2004, il a co-fondé Messidor Finance, avant de revenir chez NS Partners en 2010. Pierre Mouton est titulaire d’une licence et d’un master en finance, actuariat et gestion de portefeuille de SKEMA Business School à Lille, France.
Alexis Sautereau
NS Partners
Alexis Sautereau a rejoint NS Partners en 2020. Il a plus de 20 ans d’expérience dans divers secteurs financiers. Il a commencé par travailler dans le trading d’options et d’actions avant de s’orienter vers le conseil en technologie puis la finance d’entreprise. En 1999, il rejoint Unigestion, l’un des leaders européens de la gestion alternative, dont il devient directeur exécutif, avant de le quitter en 2002 pour fonder Jam Research.
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Après un rally appréciable au premier trimestre, les actions suisses ont repiqué du nez en avril, prises sous le feu des taxes douanières exorbitantes envisagées par Donald Trump. A mi avril, le SPI avait perdu 2,6% depuis le début de l’année, et le SMI 3,3%. Rien d’inquiétant cependant au vu des excellents fondamentaux qu’affiche toujours l’économie suisse.
Après deux années de performances catastrophiques, le vent semblait avoir enfin tourné sur les bourses suisses au premier trimestre. A la fin mars, les indices avaient fortement rebondi, tandis que l’optimisme des investisseurs à l’égard de l’économie mondiale laissait place à un net regain de volatilité.
Au mois de janvier, il était en effet assez choquant de constater que la décote de valorisation des titres helvétiques atteignait un niveau sans précédent. Alors qu’historiquement les valeurs domestiques se traitent avec une prime de 5% par rapport aux indices mondiaux, c’est une décote de près de 15% qui prévalait en début d’année. Cette situation anormale parlait clairement en faveur des actifs risqués suisses. Cet argument reste d’ailleurs valable aujourd’hui, malgré la large surperformance du SPI sur les trois premiers mois de 2025.
Les valeurs suisses ont souvent montré leur capacité à bien se comporter dans un environnement de forte volatilité sur les marchés financiers mondiaux. L’escalade actuelle dans la guerre commerciale menée par les USA contre leurs partenaires commerciaux mène à un régime de volatilité extrême qui aurait dû normalement pousser les investisseurs vers la cote locale. C’était sans compter sur le caractère imprévisible du nouveau Président américain.
Il y a encore quelques semaines, les observateurs estimaient que la Suisse échapperait aux taxes douanières, malgré les menaces brandies par Donald Trump à l’égard du monde entier. Tout du moins, il n’était pas envisageable que des taxes supérieures à celles appliquées aux pays européens soient mises en place. C’est pourtant bien ce qui s’est passé la semaine dernière. A la suite de l’application de formules mathématiques obscures, les biens helvétiques exportés aux Etats-Unis risquent une taxe supérieure à 30%, un niveau jusque-là réservé aux produits chinois. Cette surprise explique la sous performance récente des bourses domestiques, qui n’ont pas résisté au crash boursier en ce début avril.
Dans un tel contexte, les petites et moyennes capitalisations sont à la peine. Sans surprise, ces entreprises ont fortement corrigé, en raison de leur fragilité financière plus élevée et de leur présence dans des secteurs plutôt cycliques comme l’industrie ou la chimie. Pas de répit non plus pour les valeurs défensives du secteur de la santé, qui ne seront pas épargnées par la politique tarifaire de Donald Trump. Dans la récente baisse, les investisseurs n’ont pas fait de distinction entre grosses et petites capitalisations, cycliques ou défensives. L’onde de choc s’est généralisée à l’ensemble du marché. Ou presque…
Car certaines valeurs parmi les « small cap » se sont relativement bien comportées dans ce moment de panique. Les plus petites sociétés, celles qui ne sont actives que sur le marché suisse et, par conséquent, ne sont que peu concernées par les taxes américaines, ont semblé bénéficier d’une carte joker. Une société de services comme Swisscom, qui opère en grande partie sur sol suisse ne se soucie guère des récents développements macroéconomiques. Même constat pour BKW, Allreal, les petits assureurs suisses ou l’ensemble des banques cantonales helvétiques. Ces valeurs sont à privilégier dans l’environnement actuel et sont largement représentées dans nos solutions d’investissement dédiées au segment des petites et moyennes capitalisations. L’accent est donc mis dans ce segment sur les sociétés exposées en premier lieu à la conjoncture domestique.
Car il faut souligner l’excellence des fondamentaux dont jouit l’économie suisse. Alors que la croissance du PIB ralentit dans la plupart des économies développées, Etats-Unis et Chine en tête, elle devrait rester stable, voire accélérer dans notre pays durant les deux prochaines années. Certes, des révisions baissières sont attendues au vu des récentes mesures mises en place par les Etats-Unis et de la perte de confiance qui en a suivi chez les entrepreneurs. Mais l’impact devrait rester limité pour le PIB suisse. Idem pour les bénéfices des entreprises suisses, qui s’inscrivent dans une tendance de révisions haussières. Notons que la BNS, en assouplissant fortement sa politique monétaire durant les derniers trimestres, a sans doute contribué à préserver la compétitivité des sociétés exportatrices et à limiter l’appréciation du franc, favorisant ainsi la croissance.
Au vu de ce qui précède, nous considérons comme injustifiée la décote que les actions domestiques continuent d’afficher par rapport à leurs homologues mondiales, même après la surperformance des indices SMI et SPI sur le premier trimestre. Le retour à une prime de valorisation est désormais probable au vu des incertitudes économiques, de la situation géopolitique et de la visibilité réduite qui prévaut quant à l’orientation de la croissance mondiale. Nous recommandons dès lors de conserver une exposition substantielle aux actions helvétiques en privilégiant notamment les petites capitalisations domestiques, qui continueront à tirer leur épingle du jeu sur les prochains mois.
Daniel Steck
Piguet Galland
Daniel Steck cumule près de 25 années d’expérience dans le domaine de la finance. Après une première expérience dans l’analyse financière chez Lombard Odier, notamment sur le secteur de la santé, il a continué sa carrière chez Reyl & Cie, comme analyste et gérant de portefeuille. Il a rejoint Piguet Galland en 2018 comme gestionnaire senior pour prendre en charge de la gestion des différents fonds actions et certificats thématiques sur la Suisse et l’Amérique du Nord.