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Emilie-Alice Fabrizi
SPHERE
Private equity: les investisseurs suisses en quête de repères
Le premier trimestre a marqué un tournant pour les valeurs technologiques. La percée de DeepSeek, une startup chinoise spécialisée dans l’IA low cost, symbolise cette nouvelle phase : la création de valeur s’est vite déplacée du hardware vers les logiciels et les applications. Comme le souligne Raj Shant, Nvidia ne sera probablement plus le leader incontesté des marchés.
Par Jérôme Sicard
Les Magnificent Seven ont représenté 43 % des actions du marché mondial l’an dernier. Qu’en est-il de leur performance au premier trimestre 2025?
En fait, le premier trimestre a été très mauvais pour ce groupe, probablement en raison de sa forte concentration. Cela dit, nous continuons de penser que l’IA générative changera votre monde, le mien et celui de nos enfants au cours des dix prochaines années. Aujourd’hui, nous voyons se dessiner des schémas semblables à ceux que nous avons pu observer par le passé, avec l’internet par exemple. Les premiers retours sur investissement qui suivent de grandes avancées technologiques portent d’abord sur le hardware et les infrastructures.
Cependant, les gains les plus substantiels se situent généralement au-delà, dans la couche logicielle et la couche applicative. Ce fut déjà le cas avec les mainframes introduits dans les années 60-70, puis avec les PC, internet et plus récemment la blockchain. C’est sur l’internet mobile que des géants comme Amazon, Facebook ou Instagram ont fait reposer leurs modèles économiques et ont pu générer des profits sans précédent, mais ce n’est pas l’infrastructure elle-même qui a produit les rendements les plus significatifs en bourse.
Nvidia a perdu près d’un cinquième de sa valorisation depuis le début de l’année. Comment les investisseurs doivent-ils désormais aborder la mégatendance de l’IA?
Au cours de ces neuf derniers mois, nous avons réduit progressivement notre exposition au hardware qui supporte les développements de l’IA. Cela concerne bien sûr les semi-conducteurs — Nvidia en tête — sur lesquels nous avons réalisé d’importants bénéfices ces derniers mois. Nous avons choisi d’alléger cette position car, même s’il reste potentiellement une vague de profits à venir, elle devrait être bien moins marquée que celle observée en 2023 et 2024.
En janvier, DeepSeek a bien montré que la création de Large Language Models ne demandait pas nécessairement autant de hardware et de puissance de calcul qu’on pouvait d’abord le penser. D’ailleurs, depuis huit semaines, nous avons vu arriver une vague de nouveaux LLMs, au point que ce n’est plus vraiment un sujet d’actualité.
À chaque grande révolution, le même schéma se répète : la technologie clé voit son prix chuter. C’est cette forte déflation qui permet d’ailleurs sa diffusion massive et son adoption à grande échelle. Ce n’est donc pas inhabituel. Et c’est Deepseek qui s’est chargé de marquer ce passage du hardware aux logiciels et aux applications, devenus tout de suite plus accessibles.
Bien évidemment, cela ne se fait jamais sans heurts. Nvidia ne sera probablement plus le grand leader boursier qu’il a été, surtout après les investissements massifs réalisés par les entreprises en 2023 dans les puces GPU. La dynamique s’est poursuivie en 2024, mais aujourd’hui, les signaux sont clairs : le rythme de croissance de Nvidia semble avoir atteint son maximum, les marchés s’interrogeant désormais sur ce que seront les prochains grands moteurs de croissance.
Quels principaux enseignements tirez-vous du cas DeepSeek, comparé par beaucoup à un épisode de type Spoutnik ?
Au-delà de cette transition du hardware au software, et de la baisse du prix des infrastructures qui en résulte, DeepSeek a mis en lumière la forte capacité d’innovation de la tech chinoise, portée par des ingénieurs de haut niveau, tous formés en Chine. C’est un fait remarquable, quand on voit les percées majeures réalisées récemment en Europe ou aux États-Unis. Le contraste est frappant. Cela dit, les États-Unis restent un puissant aimant pour les talents venus d’Europe, d’Inde ou de Chine. À long terme, c’est sans doute là que continueront à se concentrer les plus grandes opportunités.
Elles se situeront très vraisemblablement dans la couche logicielle et la couche applicative que nous avons évoquées. Cette évolution naturelle va bien sûr engendrer une certaine incertitude et de la volatilité, comme nous avons pu le constater encore en janvier.
Quelles entreprises citeriez-vous à propos de ces couches logicielles et applicatives ?
Je peux prendre l’exemple de BYD, qui est l’équivalent de Tesla sur le marché chinois. Dans le domaine applicatif, ils ne créent pas d’intelligence artificielle, mais ils l’utilisent pour améliorer l’expérience du conducteur à un prix que personne d’autre n’est en mesure de proposer aujourd’hui. Je pense aussi à Apple. Ils ne disposent pas de leur propre LLM, mais ils sont en mesure de collaborer avec tout le monde. Avec OpenAI aux Etats-Unis, ou avec Alibaba en Chine. Apple a vite compris que la création de valeur ne se situe pas dans le développement de l’IA générative, mais dans son exploitation et c’est bien ainsi qu’ils ont défini leur stratégie.
Que pensez-vous du rebond relatif d’une Europe peu ou mal positionnée sur ce monde de l’intelligence artificielle ?
L’Europe a bénéficié de plusieurs facteurs favorables qui ont propulsé ses marchés actions au premier trimestre, mais je m’interroge sur ce qu’il restera de ce rallye d’ici un an. Restons-en dans le domaine de l’intelligence artificielle. Beaucoup d’entreprises européennes essaient de se développer mais elles se heurtent à ce problème récurrent qu’est la réglementation. Avant même d’avoir créé un LLM, on cherche déjà à en figer le concept dans un cadre réglementaire. C’est l’Europe. On pense à réguler avant d’innover. Pour moi, le marché américain gardera une position dominante, car il privilégie d’abord l’innovation, et les opportunités les plus attrayantes se trouveront pendant encore longtemps aux Etats-Unis et en Chine.
Raj Shant
Jennison Associates
Raj Shant est gestionnaire de portefeuille client chez Jennison Associates pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Basé à Londres, il a rejoint la société en 2019. Auparavant, Raj a passé 17 ans chez Newton Investment Management, d’abord en tant que responsable des actions européennes, puis en tant que gestionnaire de portefeuille d’actions mondiales. Au cours de sa dernière année chez Newton, Raj était également responsable de l’investissement durable. Auparavant, il a été responsable des actions européennes au Credit Suisse Asset Management. Il a commencé sa carrière dans la banque d’investissement et l’analyse des actions. Raj est titulaire d’une licence avec mention en économie et gestion de l’université de Leeds.
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Le deuxième volet de L’Intégrale s’intéresse à la transition énergétique – ou plutôt, à l’adaptation énergétique, selon l’expression privilégiée par Alexis Sautereau et Pierre Mouton. Ce deuxième interview de la série porte plus particulièrement sur le thème des infrastructures et l’impact majeur que les géants de la tech auront sur leur développement.
Par Jérôme Sicard
Comment adapter les infrastructures actuelles pour réduire la consommation d’énergie dans les transports ?
Il va d’abord falloir prendre son mal en patience. Le retard accumulé est considérable. Les États-Unis en sont le parfait exemple : on a misé sur Internet, mais on a oublié que les routes et les câbles ont aussi leur importance. Résultat, on part pour quinze ans de mise à niveau des réseaux. Aujourd’hui, dans le mix énergétique, on arrive encore à composer, mais l’optimisation complète prendra du temps. Il y aura forcément un décalage entre l’état actuel des infrastructures et ce vers quoi on veut tendre. Il va donc falloir aussi accepter cette réalité : engager des dépenses aussi importantes et les amortir dans le temps aura forcément un effet inflationniste.
Quels grands axes vont décider du renouvellement de ces infrastructures ?
C’est un chantier monumental. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’il faudra, à terme, remplacer ou installer 85 millions de kilomètres de câbles, soit un investissement de 1’500 milliards de dollars. Et encore, ce n’est qu’une partie du problème.
Une fois que les infrastructures seront remises au goût du jour pour la partie hardware, il faudra alors adapter les systèmes. C’est plutôt la bonne nouvelle car nous allons vraiment rentrer dans une phase d’optimisation. La gestion intelligente de la production d’énergie et de sa distribution sera la clé de cette transition, ou plutôt de cette adaptation énergétique.
Il y a déjà des solutions qui font déjà leurs preuves. Une plateforme comme Kraken, utilisée par de grands fournisseurs d’électricité, comme EDF, est en train de s’imposer à l’échelle mondiale. Mais son adoption tardive montre aussi à quel point ce secteur est encore largement archaïque.
Quels sont les principaux problèmes rencontrés par les producteurs aujourd’hui ?
Certains problèmes sont très concrets. Si l’on veut développer les énergies renouvelables, installer des éoliennes, des champs solaires ou même des parcs offshore, il faut trouver du terrain ou de l’espace, et ce n’est pas toujours évident.
D’autres obstacles sont plus complexes, notamment ceux liés à la réglementation, surtout en Europe, où les gouvernements contrôlent les marchés de l’énergie et les utilisent parfois comme outils politiques. Prenez la France : l’an prochain, les tarifs de l’électricité vont baisser de 15 %. Nous doutons qu’EDF se satisfasse de ces annonces. On ne peut pas demander aux producteurs de développer des énergies renouvelables, qui coûtent cher à produire, tout en leur imposant de vendre leur électricité à un prix trop bas. Si on les serre des deux côtés, ça ne peut pas fonctionner.
Les grands producteurs doivent-ils se réinventer ?
Il ne s’agit pas pour les grands producteurs de se réinventer, mais plutôt de repenser le mix énergétique. Regardez l’évolution de Total : l’entreprise investit massivement dans un réseau de bornes de recharge sur les autoroutes. Ce n’est pas un simple coup de communication, c’est une démarche industrielle d’envergure.
On observe la même logique avec le retour des centrales nucléaires, réactivées par les grands acteurs de la tech. C’est un basculement stratégique considérable. L’enjeu, ce n’est pas de tout révolutionner, mais d’aborder l’énergie avec de nouvelles perspectives.
Des percées technologiques peuvent-elles permettre la modernisation de ces infrastructures ?
L’intelligence artificielle va clairement apporter beaucoup de valeur et accélérer les progrès, mais il faut bien comprendre, au risque de se répéter, qu’on parle ici d’optimisation plus que de révolution. Aujourd’hui, les infrastructures, notamment les échangeurs et les systèmes d’interconnexion des réseaux, sont complètement obsolètes, dépassés technologiquement. Donc oui, il y a des évolutions, mais pas de transformation radicale à envisager du côté matériel.
On modernise surtout des systèmes qui ont entre 30 et 50 ans. Le défi est énorme. L’enjeu repose surtout sur l’amélioration de la fluidité et de l’efficacité des réseaux. C’est là que les vraies avancées se décident, notamment grâce aux dernières générations de logiciels. L’intelligence artificielle va permettre aux opérateurs de franchir un cap majeur dans la gestion des réseaux. Et de démontrer accessoirement que la rentabilité ne dépend pas uniquement du coût de la matière première.
Dans l’immédiat, ces systèmes coûtent malheureusement assez cher et les infrastructures existantes ne sont pas encore totalement adaptées pour leur exploitation.
Faut-il repenser les infrastructures pour accélérer l’intégration des énergies renouvelables ?
Oui, c’est l’un des enjeux majeurs auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Jusqu’à présent, nous fonctionnions avec des réseaux très centralisés : l’énergie était produite en un point et distribuée partout. Demain, nous entrerons dans un modèle totalement différent, où la production sera décentralisée et répartie sur des territoires entiers. Cela impose de nouvelles contraintes en termes de gestion du réseau et nécessite une architecture autrement plus flexible et forcément innovante.
Si l’on pousse la réflexion plus loin, cela pourrait aller jusqu’aux mini-centrales nucléaires comme nouveaux pôles de production. Je ne parle pas forcément de centrales de quartier… mais après tout, pourquoi pas ? On parvient bien à mettre une centrale nucléaire dans un sous-marin, alors l’idée mérite d’être explorée. Et elle le sera.
Donc, oui, il faut repenser les infrastructures, mais il faut quand même revenir sur le cas du gaz naturel. Il est en passe de prendre une place considérable dans le mix énergétique en raison de sa disponibilité, de son impact modéré en termes d’émission mais aussi du fait que les infrastructures existent déjà dans son cas ! elles demandent juste des adaptations à la marge.
La volonté de Microsoft de produire et de contrôler sa propre énergie est-elle appelée à se généraliser, selon vous ?
Je n’en suis pas certain qu’il soit possible aujourd’hui d’envisager ce genre de modèle en Europe. Aux Etats-Unis, oui, il est appelé à se généraliser. Microsoft n’est pas seul. Google, Meta, voire même JP Morgan, tous les grands de la data s’y mettent, avec des moyens considérables, car la facture énergétique liée à la gestion de leurs exaoctets de données justifie ces investissements en amont.
C’est assez paradoxal, dans la mesure où la souveraineté énergétique est revenue au cœur des débats ! Pourtant, nous assistons bien à une privatisation des infrastructures énergétiques, autrefois gérées par les collectivités. Cela souligne aussi l’ampleur du besoin : ces entreprises repensent en profondeur la manière dont elles dimensionnent leur consommation énergétique. A raison : Amazon est devenu le premier acheteur mondial d’énergies renouvelables.
Bien sûr, les montants en jeu – plusieurs milliards de dollars – impressionnent. Mais ce qui est encore plus fascinant, c’est l’exigence de fiabilité imposée à ces infrastructures. Les niveaux de service sont bien plus stricts que chez les producteurs classiques : la marge d’erreur est quasiment nulle, bien au-delà de ce qui nous semblerait raisonnable du point de vue d’un utilisateur domestique.
Ces entreprises peuvent-elles devenir des producteurs à part entière et proposer leur surplus sur le marché ?
En réalité, ce n’est pas Microsoft qui produit directement, mais Constellation. Il s’agit d’un partenariat, mais l’objectif est bien de sécuriser un approvisionnement. Et cela fonctionne. C’est la toute-puissance de ces grandes entreprises, devenues de véritables écosystèmes.
Bill Gates a toujours été un fervent défenseur de l’énergie nucléaire. Finalement, c’est le secteur privé qui va montrer la voie. Ce sont des entreprises qui prennent l’initiative sur des enjeux énergétiques aussi importants, où se joue en partie l’avenir de l’humanité. C’est un changement de paradigme assez incroyable.
Cela rappelle un peu l’histoire de SpaceX et de la fusée réutilisable. Faire revenir un lanceur était le Graal de tous les acteurs du spatial, et c’est une entreprise privée qui a réussi en premier.
Il faut bien comprendre que ces géants ne font que s’inscrire dans une logique économique et industrielle de long terme, répondant ainsi aux fondamentaux d’un marché en pleine mutation.
Parmi les nouvelles technologies qui émergent dans le secteur de l’énergie, lesquelles vous semblent les plus intéressantes d’un point de vue financier ?
L’intelligence artificielle appliquée à l’optimisation des logiciels et à l’adaptation des réseaux a un potentiel extraordinaire. Il s’agit d’améliorer la gestion des infrastructures, la distribution et l’efficacité des services. Le saut technologique par rapport aux systèmes actuels est colossal. Pour la production d’énergie à proprement parler, l’hydrogène à grande échelle reste une piste très intéressante. Malheureusement, son coût reste pour le moment assez prohibitif.
Pierre Mouton
NS Partners
Pierre Mouton a rejoint NS Partners en 2003. Il dirige les stratégies Long Only du groupe et il est membre également du comité d’allocation d’actifs. Pierre a débuté sa carrière financière en 1993 chez AG2R La Mondiale, où il a successivement géré des portefeuilles monétaires, obligataires et actions, avant de rejoindre en 2000 Fiduciary Trust à Genève et d’entrer ensuite chez NS Partners comme gestionnaire de portefeuille. En 2004, il a co-fondé Messidor Finance, avant de revenir chez NS Partners en 2010. Pierre Mouton est titulaire d’une licence et d’un master en finance, actuariat et gestion de portefeuille de SKEMA Business School à Lille, France.
Alexis Sautereau
NS Partners
Alexis Sautereau a rejoint NS Partners en 2020. Il a plus de 20 ans d’expérience dans divers secteurs financiers. Il a commencé par travailler dans le trading d’options et d’actions avant de s’orienter vers le conseil en technologie puis la finance d’entreprise. En 1999, il rejoint Unigestion, l’un des leaders européens de la gestion alternative, dont il devient directeur exécutif, avant de le quitter en 2002 pour fonder Jam Research.
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Après un rally appréciable au premier trimestre, les actions suisses ont repiqué du nez en avril, prises sous le feu des taxes douanières exorbitantes envisagées par Donald Trump. A mi avril, le SPI avait perdu 2,6% depuis le début de l’année, et le SMI 3,3%. Rien d’inquiétant cependant au vu des excellents fondamentaux qu’affiche toujours l’économie suisse.
Après deux années de performances catastrophiques, le vent semblait avoir enfin tourné sur les bourses suisses au premier trimestre. A la fin mars, les indices avaient fortement rebondi, tandis que l’optimisme des investisseurs à l’égard de l’économie mondiale laissait place à un net regain de volatilité.
Au mois de janvier, il était en effet assez choquant de constater que la décote de valorisation des titres helvétiques atteignait un niveau sans précédent. Alors qu’historiquement les valeurs domestiques se traitent avec une prime de 5% par rapport aux indices mondiaux, c’est une décote de près de 15% qui prévalait en début d’année. Cette situation anormale parlait clairement en faveur des actifs risqués suisses. Cet argument reste d’ailleurs valable aujourd’hui, malgré la large surperformance du SPI sur les trois premiers mois de 2025.
Les valeurs suisses ont souvent montré leur capacité à bien se comporter dans un environnement de forte volatilité sur les marchés financiers mondiaux. L’escalade actuelle dans la guerre commerciale menée par les USA contre leurs partenaires commerciaux mène à un régime de volatilité extrême qui aurait dû normalement pousser les investisseurs vers la cote locale. C’était sans compter sur le caractère imprévisible du nouveau Président américain.
Il y a encore quelques semaines, les observateurs estimaient que la Suisse échapperait aux taxes douanières, malgré les menaces brandies par Donald Trump à l’égard du monde entier. Tout du moins, il n’était pas envisageable que des taxes supérieures à celles appliquées aux pays européens soient mises en place. C’est pourtant bien ce qui s’est passé la semaine dernière. A la suite de l’application de formules mathématiques obscures, les biens helvétiques exportés aux Etats-Unis risquent une taxe supérieure à 30%, un niveau jusque-là réservé aux produits chinois. Cette surprise explique la sous performance récente des bourses domestiques, qui n’ont pas résisté au crash boursier en ce début avril.
Dans un tel contexte, les petites et moyennes capitalisations sont à la peine. Sans surprise, ces entreprises ont fortement corrigé, en raison de leur fragilité financière plus élevée et de leur présence dans des secteurs plutôt cycliques comme l’industrie ou la chimie. Pas de répit non plus pour les valeurs défensives du secteur de la santé, qui ne seront pas épargnées par la politique tarifaire de Donald Trump. Dans la récente baisse, les investisseurs n’ont pas fait de distinction entre grosses et petites capitalisations, cycliques ou défensives. L’onde de choc s’est généralisée à l’ensemble du marché. Ou presque…
Car certaines valeurs parmi les « small cap » se sont relativement bien comportées dans ce moment de panique. Les plus petites sociétés, celles qui ne sont actives que sur le marché suisse et, par conséquent, ne sont que peu concernées par les taxes américaines, ont semblé bénéficier d’une carte joker. Une société de services comme Swisscom, qui opère en grande partie sur sol suisse ne se soucie guère des récents développements macroéconomiques. Même constat pour BKW, Allreal, les petits assureurs suisses ou l’ensemble des banques cantonales helvétiques. Ces valeurs sont à privilégier dans l’environnement actuel et sont largement représentées dans nos solutions d’investissement dédiées au segment des petites et moyennes capitalisations. L’accent est donc mis dans ce segment sur les sociétés exposées en premier lieu à la conjoncture domestique.
Car il faut souligner l’excellence des fondamentaux dont jouit l’économie suisse. Alors que la croissance du PIB ralentit dans la plupart des économies développées, Etats-Unis et Chine en tête, elle devrait rester stable, voire accélérer dans notre pays durant les deux prochaines années. Certes, des révisions baissières sont attendues au vu des récentes mesures mises en place par les Etats-Unis et de la perte de confiance qui en a suivi chez les entrepreneurs. Mais l’impact devrait rester limité pour le PIB suisse. Idem pour les bénéfices des entreprises suisses, qui s’inscrivent dans une tendance de révisions haussières. Notons que la BNS, en assouplissant fortement sa politique monétaire durant les derniers trimestres, a sans doute contribué à préserver la compétitivité des sociétés exportatrices et à limiter l’appréciation du franc, favorisant ainsi la croissance.
Au vu de ce qui précède, nous considérons comme injustifiée la décote que les actions domestiques continuent d’afficher par rapport à leurs homologues mondiales, même après la surperformance des indices SMI et SPI sur le premier trimestre. Le retour à une prime de valorisation est désormais probable au vu des incertitudes économiques, de la situation géopolitique et de la visibilité réduite qui prévaut quant à l’orientation de la croissance mondiale. Nous recommandons dès lors de conserver une exposition substantielle aux actions helvétiques en privilégiant notamment les petites capitalisations domestiques, qui continueront à tirer leur épingle du jeu sur les prochains mois.
Daniel Steck
Piguet Galland
Daniel Steck cumule près de 25 années d’expérience dans le domaine de la finance. Après une première expérience dans l’analyse financière chez Lombard Odier, notamment sur le secteur de la santé, il a continué sa carrière chez Reyl & Cie, comme analyste et gérant de portefeuille. Il a rejoint Piguet Galland en 2018 comme gestionnaire senior pour prendre en charge de la gestion des différents fonds actions et certificats thématiques sur la Suisse et l’Amérique du Nord.
Le deuxième volet de L’Intégrale s’intéresse à la transition énergétique – ou plutôt, à l’adaptation énergétique, selon l’expression privilégiée par Alexis Sautereau. Ce premier interview de la série propose ainsi un panorama du secteur, et des grandes forces qui décident aujourd’hui de sa dynamique.
Par Jérôme Sicard
Quelles sont les transformations majeures que vous observez actuellement dans le secteur de l’énergie ?
L’émergence des énergies renouvelables bouleverse clairement le paysage énergétique mondial. En 2023, éolien, solaire, biomasse et hydroélectricité ont représenté plus de 20 % de la production mondiale d’électricité. D’ici 2025, elles devraient dépasser le tiers. C’est une progression rapide, mais qui reste insuffisante néanmoins face à une demande qui croît toujours plus vite. De 2 % de croissance annuelle en moyenne, on est passé à 6 % ces dernières années. La consommation mondiale atteint donc des sommets. Toutes les sources d’énergie – sauf le nucléaire – sont exploitées à des niveaux records. Ce bond met forcément à rude épreuve les infrastructures existantes, souvent vieillissantes et sous-dimensionnées. Le problème est d’autant plus sensible que les nouveaux modes de consommation imposent, en parallèle, une nette amélioration de la qualité de service avec des standards qui vont devenir beaucoup plus élevés. Ce sera plus particulièrement le cas en particulier pour l’industrie et le digital.
Autre souci : la disponibilité aléatoire de ces énergies renouvelables. Contrairement au nucléaire, au pétrole, au charbon ou au gaz, dont la production est contrôlée, les énergies renouvelables suivent leur cours naturel, et délivrent parfois trop ou parfois pas assez sans qu’il soit possible à ce jour de stocker leur excédent. Les solutions actuelles ne le permettent pas.
Pourquoi assiste-t-on à une augmentation aussi forte de la demande ?
Les datacenters ont un impact majeur sur cette augmentation. L’explosion du big data, du cloud computing et de l’intelligence artificielle a pour résultat que la consommation de données mobiles pourrait être multipliée par six d’ici 2030. Le trafic internet, lui, pourrait être multiplié par cinq.
A cette date, en 2030, les datacenters pourraient représenter jusqu’à 20 % de la consommation mondiale d’électricité, sachant que leur approvisionnement énergétique représente plus de la moitié de leurs coûts de fonctionnement. Les services que ces centres offrent à leurs clients imposent par ailleurs une continuité sans faille. Ils ne peuvent tolérer aucun blackout.
Comment va évoluer le mix énergétique ?
L’une des évolutions les plus significatives est la réactivation de la filière nucléaire par des acteurs privés soucieux de maîtriser leur facture énergétique. Microsoft, par exemple, s’est associé à Constellation pour relancer la centrale de Three Mile Island. D’autres suivront. La relance du nucléaire civil est également encouragée par plusieurs gouvernements, qui y voient une solution fiable et décarbonée pour répondre à la crise énergétique.
Dans le renouvelable, le potentiel du solaire et de l’éolien reste clairement sous-exploité mais ce potentiel reste encore limité en raison du problème du stockage.
Si l’on veut concilier transition énergétique et décarbonation, les solutions clés restent le renouvelable et le nucléaire, avec à la marge, le remplacement du charbon par le gaz, qui reste l’option fossile la moins sale.
Quels sont les principaux obstacles à surmonter ?
Il reste à résoudre deux grandes équations.
En premier, la rentabilité. Dans le domaine des infrastructures, des réseaux ; de la transmission et du stockage, des éléments de rentabilité se matérialisent clairement. Mais au fur et à mesure qu’on remonte vers la source, les projets se compliquent et les coûts de mise en œuvre évidemment s’envolent.
Vient ensuite le problème du stockage longue durée que nous avons déjà évoqué. Le résoudre constituera un véritable tournant technologique, une avancée décisive au même titre que la découverte de l’atome en son temps. Des recherches sont en cours sur des batteries de nouvelle génération et sur l’hydrogène comme solution de stockage, mais les défis technologiques et économiques restent considérables.
Quelles énergies renouvelables vous semblent avoir aujourd’hui le plus fort potentiel de croissance ?
Le solaire. Il s’est d’abord développé sur le marché résidentiel, mais il commence à s’imposer dans l’industrie. Avec l’optimisation de la gestion des réseaux et l’utilisation de l’intelligence artificielle, mieux comprendre la consommation d’un client permet effectivement d’optimiser l’utilisation des énergies renouvelables sur une échelle plus large.
Ces deux aspects sont d’ailleurs intimement liés. D’un côté, on optimise la distribution de l’énergie en fonction des besoins des consommateurs. De l’autre, on agit sur la consommation elle-même : isolation des bâtiments, ampoules basse consommation, et autres solutions permettant une réduction de la consommation sans perte de confort.
Il s’agit là d’un point fondamental. L’être humain n’est pas prêt à céder sur son confort. La notion de décroissance, la démarche sociale autour d’une révision à la baisse de notre style de vie paraît difficilement envisageable. C’est probablement là où la notion d’innovation rejoint la notion de progrès. Le confort dont nous jouissons aujourd’hui est le fruit du progrès que notre civilisation a pu accomplir au fil du temps. Et c’est de l’innovation dont nous dépendons maintenant pour préserver cette qualité de vie.
Au-delà du stockage quelles solutions plus immédiates faut-il mettre encore en œuvre pour accélérer le développement des énergies renouvelables ?
Nous ne voyons aucun problème sur la partie investissements puisque les investisseurs répondent déjà présents sur différents types de financements. Cependant, pour lever les obstacles initiaux liés à la validation de certaines thématiques, secteurs ou projets d’investissement, il manque encore aujourd’hui une véritable validation de la société civile. Et il est important de rappeler que la politique ne peut pas tout résoudre.
À ce jour, nous sommes encore loin d’une prise de conscience collective. Si les gouvernements étaient véritablement déterminés à modifier nos comportements quotidiens, comme par exemple en fixant des prix de l’électricité ou du pétrole, il serait possible de le faire. Mais cette approche n’est socialement pas acceptable. Ce type de politique risquerait d’affecter principalement les classes sociales les plus vulnérables. Le problème de la production énergétique et de l’évolution du mix énergétique ne pourra pas se résoudre uniquement à travers une question de prix.
Sur quoi concentrez-vous plus particulièrement votre attention aujourd’hui?
Nous nous inscrivons dans une logique purement financière, sans laisser aucune place à l’idéologie dans nos choix d’investissement. Ce qui nous intéresse avant tout, ce sont les modèles économiques véritablement rentables, avec une valorisation justifiée et des fondamentaux solides indiquant un vrai potentiel de croissance. La demande d’énergie et les besoins en économie d’énergie sont des thématiques transversales sur lesquelles de nombreuses entreprises se positionnent et connaissent une forte croissance. Toutefois, dans cet univers, certains modèles économiques ne peuvent être viables sans un soutien financier public massif ou des avantages de l’État. Ce type de modèle ne fonctionne que temporairement, comme l’ont illustré l’an passé les déboires en bourse de Ørsted, la société danoise 100 % éolienne.
Nous cherchons donc à identifier des entreprises qui bénéficieront positivement des investissements dans la transition ou l’adaptation énergétique. Dans cette optique, ce sont souvent des modèles économiques industriels, presque traditionnels, qui présentent des opportunités intéressantes. Prenez l’exemple de Schneider. Si vous regardez sa performance boursière de Schneider sur les 12 à 18 derniers mois, on croirait presque une startup.
Dans ces grandes entreprises, comme Schneider ou Siemens, l’innovation est bien présente, et le développement se concentre notamment sur la rénovation des infrastructures, avec des problématiques nouvelles à résoudre.
Comment abordez-vous cette thématique dans votre fonds Long-Short Global ?
Dans cette thématique, l’allocation hedge fund nous permet d’être exposé à l’ensemble de l’écosystème depuis les matières premières jusqu’aux produits de consommation, en passant par l’infrastructure et les équipements. L’énergie est représentée à hauteur de 50 % du portefeuille si l’on considère l’ensemble du spectre, mais l’exposition net aux marchés est inférieur à 30% avec un levier très modeste. Encore une fois, il s’agit d’une couverture hyper transversale, idéale pour capturer la dispersion de performance significative qui règne au sein de chacun des secteurs concernés.
Comment la transformation du secteur de l’énergie va-t-elle bousculer l’économie mondiale à terme ?
La course à la souveraineté énergétique redessine les équilibres géopolitiques mais, sur le plan économique, l’augmentation de la consommation d’énergie est plutôt une bonne nouvelle. Comme le dit Bill Gates, et comme l’ont dit quelques grands économistes avant lui, le PIB, ce n’est rien d’autre que de l’énergie transformée…
Pierre Mouton
NS Partners
Pierre Mouton a rejoint NS Partners en 2003. Il dirige les stratégies Long Only du groupe et il est membre également du comité d’allocation d’actifs. Pierre a débuté sa carrière financière en 1993 chez AG2R La Mondiale, où il a successivement géré des portefeuilles monétaires, obligataires et actions, avant de rejoindre en 2000 Fiduciary Trust à Genève et d’entrer ensuite chez NS Partners comme gestionnaire de portefeuille. En 2004, il a co-fondé Messidor Finance, avant de revenir chez NS Partners en 2010. Pierre Mouton est titulaire d’une licence et d’un master en finance, actuariat et gestion de portefeuille de SKEMA Business School à Lille, France.
Alexis Sautereau
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Alexis Sautereau a rejoint NS Partners en 2020. Il a plus de 20 ans d’expérience dans divers secteurs financiers. Il a commencé par travailler dans le trading d’options et d’actions avant de s’orienter vers le conseil en technologie puis la finance d’entreprise. En 1999, il rejoint Unigestion, l’un des leaders européens de la gestion alternative, dont il devient directeur exécutif, avant de le quitter en 2002 pour fonder Jam Research.
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Dans ce premier opus de L’Intégrale, série d’entretiens explorant en profondeur un même thème, Frédéric Dawance et Thierry Zen Ruffinen nous font découvrir le marché de l’or sous tous ses angles. Le quatrième et dernier interview de cette série est consacré à la traçabilité et à l’impact sociétal appelés à s’imposer sur ce marché, au travers notamment d’initiatives comme Swiss Better Gold.
Par Jérôme Sicard
L’or a toujours eu un caractère très ambigu. D’un côté, il incarne la pureté et l’éclat – on parle d’un « ami en or » comme d’un trésor inestimable. De l’autre, il symbolise la cupidité et la malédiction, à l’image du roi Midas, qui transformait en or tout ce qu’il touchait, jusqu’à sa propre nourriture, et a préféré finir dans la pauvreté. Il y a aussi Alberich, le nain de L’Or du Rhin, décidément prêt à tout pour le posséder, jusqu’à asservir tous ses semblables.
Au-delà des mythes, l’histoire de l’or est aussi jalonnée de conquêtes qui vont souvent de pair avec des tragédies bien réelles. De la ruée vers l’or du Nouveau Monde aux XVᵉ et XVIᵉ siècles, qui précipita la chute des empires incas et aztèques, jusqu’à l’or sud-africain sous l’apartheid, l’or a souvent été synonyme d’exploitation et d’injustice.
Aujourd’hui encore, le marché aurifère a un revers à sa médaille. De grandes places comme la Russie ou la Chine fonctionnent en vases clos, peu concernées par les standards de transparence et de responsabilité fixés par la LBMA. Mais l’un des enjeux les plus préoccupants reste l’or illégal : chaque année, près de 400 tonnes d’or sont exportées clandestinement d’Afrique, principalement issues de l’orpaillage artisanal. Cela représente 15 % de la production mondiale – un phénomène massif, loin d’être un simple effet secondaire marginal.
Quelles mesures sont prises pour contrer ce phénomène ?
C’est une question complexe. L’enjeu principal, c’est l’encadrement des mineurs dans leur pays d’origine. Si on parvient à structurer et formaliser cette activité, notamment pour les 15 % de mineurs qui pourraient intégrer un cadre légal, alors on transforme ce secteur en une industrie comme une autre, avec un impact économique fort. C’est dans cette direction que travaillent les gouvernements. Des initiatives comme Swiss Better Gold collaborent avec les autorités pour aller dans ce sens. C’est une vision à long terme, mais c’est là qu’il faut aller.
En parallèle, il faut empêcher que cet or illégal entre dans le système. Si on refuse d’avoir des matières premières d’origine douteuse dans notre chaîne de valeur – et donc, in fine, dans nos lingots, nos bijoux et nos montres – il faut agir en amont. Aujourd’hui, la principale porte d’entrée semble être les Émirats arabes unis. La Suisse, comme d’autres pays, exerce une certaine pression pour que les Émirats renforcent leurs contrôles.
Il est clair qu’une grande partie de l’or importé en Suisse est déclarée comme provenant des Émirats arabes unis. Or, il n’y a pas de mines d’or là-bas. Cet or vient donc forcément d’ailleurs. C’est pourquoi il y a une demande insistante pour introduire un champ obligatoire dans les documents douaniers indiquant l’origine réelle de la marchandise lors de l’importation en Suisse.
Encore une fois, le recyclage de l’or n’est pas un problème en soi. C’est le manque de transparence autour de cet or recyclé qui crée un immense problème.
Quels standards faut-il établir aujourd’hui pour garantir à l’or une extraction et une commercialisation responsables ?
Le premier standard, c’est la traçabilité. Une fois que les acteurs sont identifiés, on peut les mettre face à leurs responsabilités. Et les progrès suivent vite. Donc, la traçabilité, c’est vraiment essentiel.
Le deuxième enjeu, c’est l’impact sociétal. Aujourd’hui, 20 % de l’or mondial provient de mineurs artisanaux. Cette activité fait vivre des centaines de millions de personnes, mais ces travailleurs restent exclus des chaînes de valeur formelles.
Autrement dit, la traçabilité permet d’écarter les mauvaises pratiques, mais il faut aussi mieux intégrer ces mineurs au marché officiel. C’est sur ces deux axes qu’on doit avancer pour assainir et améliorer le commerce de l’or.
Dans la chaîne d’approvisionnement de l’or, comment renforcer encore sa traçabilité ?
Il y a d’abord l’aspect pratique : il faut des outils concrets, acceptés et adoptés par tous, qui garantissent une traçabilité fiable. Ensuite, il y a la réglementation. On peut très bien imaginer qu’un jour, seul l’or traçable puisse être traité en Suisse. On n’en est pas encore là, mais c’est une piste envisageable.
Il faut également que les producteurs et les mineurs soient parties prenantes dans cette réflexion. Si les exigences sont trop élevées, on risque d’exclure une partie des acteurs de la discussion, ou des échanges, simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’y conformer autant qu’ils le voudraient. Il faut être pragmatique.
Aujourd’hui, 600 tonnes d’or sont échangées chaque jour sur le marché alors que la production mondiale annuelle n’est de 3’000 tonnes. Autrement dit, chaque semaine, c’est l’équivalent de la production annuelle qui est échangé. C’est pourquoi, au-delà de l’or fraîchement extrait, il faut aussi prendre en compte le stock en circulation.
Quel rôle joue plus exactement l’initiative Swiss Better Gold, à laquelle vous vous êtes associés ?
Swiss Better Gold est l’initiative de référence pour l’or artisanal. Elle a l’avantage d’être soutenue à la fois par le gouvernement suisse, via le SECO, par les grands raffineurs suisses qui en sont membres, et par les utilisateurs finaux comme les joailliers – et quelques banques ou institutions financières, dont la nôtre. C’est aujourd’hui un acteur clé qui milite activement pour la réintégration de l’or artisanal dans les chaînes de valeur. On ne peut pas simplement ignorer son existence.
Cela dit, l’initiative reste encore modeste : sur les 3’000 tonnes d’or extraites chaque année dans le monde, 600 tonnes proviennent de mineurs artisanaux formalisés ou non. Swiss Better Gold n’en couvre pour l’instant que 4 à 5 tonnes. Il y a donc une énorme marge de progression. Mais si elle est si lente, c’est aussi parce que les intérêts peuvent diverger au sein de l’industrie.
Pour autant, son existence est essentielle. Quand la Banque centrale du Ghana veut formaliser l’activité des mineurs artisanaux, à qui peut-elle s’adresser ? Il n’existe pas d’autre structure ayant cette expertise. Swiss Better Gold connaît les enjeux, les raffineurs, les clients. C’est une plateforme unique. C’est pourquoi nous la soutenons : elle a le potentiel de fédérer encore plus d’acteurs et de créer un impact positif à grande échelle, sur le long terme.
Frédéric Dawance
De Pury Pictet Turrettini
Frédéric a rejoint de Pury Pictet Turrettini en 2016. Il participe activement à la gouvernance de la société en siégeant au sein du comité de direction, de stratégie et d’audit. Il a débuté sa carrière chez Pictet à Genève, puis chez CSFB à Zurich et à Londres, ainsi que chez Exane à Paris. Après deux ans en tant que CFO d’une société technologique, il a rejoint Lombard Odier & Cie en 2004, d’abord en tant que responsable du trading, puis en tant que co-responsable des produits d’investissement et enfin en tant que responsable d’un important groupe de banquiers privés. Frédéric est titulaire d’un diplôme HEC de l’Université de Saint-Gall et d’une maîtrise en économie de l’Université de Cologne.
Thierry Zen Ruffinen
De Pury Pictet Turrettini
Avec une solide expérience de l’investissement, Thierry Zen Ruffinen a rejoint de Pury Pictet Turrettini en 2021 en tant que responsable de la distribution, où il s’emploie à conseiller une clientèle institutionnelle. Thierry a précédemment été en charge de la distribution des fonds et des mandats de Mirabaud Asset Management auprès de la clientèle institutionnelle romande. Il a commencé sa carrière en 2004 auprès de la Nouvelle Compagnie de Réassurance en tant qu’actuaire tarificateur. Thierry dispose d’un master en actuariat d’HEC Lausanne.
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Dans la gamme alternative, NS Partners lance à présent un fonds de fonds dédié aux marchés privés, le Private Markets Evergreen Fund, avec l’intention de capitaliser sur son expertise dans le domaine de la sélection de fonds. Angel Sanz et Cédric Dingens se chargent ici de la présentation.
Par Jérôme Sicard
Aujourd’hui, à quoi devrait ressembler une allocation aux private markets dans un portefeuille « balanced » ?
Pour un mandat de petite taille, une allocation de 10 % à 15 % semble appropriée. En revanche, pour des mandats plus importants, souvent plus sophistiqués, notamment chez les institutionnels, l’exposition peut facilement monter à 30 % voire 40 % du portefeuille. Certains fonds de type US Endowment, comme celui de Yale, atteignent même les 50 %. Une étude récente d’UBS révèle que les family offices gérant des encours de plus de 100 millions de dollars consacrent jusqu’à 40 % de leurs actifs aux classes alternatives, dont un quart aux marchés privés. Cette tendance traduit bien une montée en puissance des allocations non cotées dans les stratégies patrimoniales.
Les allocations des fonds de type US Endowment représentent-elles l’avenir de la gestion de fortune en Suisse ?
Ça nous paraît difficilement envisageable. Ces fonds sont d’une taille colossale. Le fonds de Yale gère par exemple près de 40 milliards de dollars. Or, les clients privés doivent faire face à plusieurs contraintes, notamment un horizon d’investissement plus court, qui ne permet pas d’immobiliser des capitaux sur de longues périodes. Contrairement aux endowment funds, les investisseurs privés ont besoin de flexibilité et de liquidité, ce qui limite une approche extrême des allocations en private markets.
Quels sont les rendements actuels des différents segments qui composent les private markets ?
Sur 10 ans, le private equity et le venture capital ont affiché des rendements proches de 15 %. Le direct lending et les infrastructures gravitent autour de 10 %. Dans les années à venir, le venture capital et le private equity pourraient enregistrer une légère baisse, mais le potentiel reste important, notamment pour les infrastructures, qui nécessitent des investissements massifs — environ 100’000 milliards de dollars d’ici 2050. Les fonds alternatifs, qui ont dégagé environ 5 % sur dix ans, pourraient de leur côté bénéficier de la remontée des taux d’intérêt et de l’accroissement de la volatilité. Globalement, ces classes d’actifs offrent un couple rendement-risque attrayant sur le long terme.
Quelle est aujourd’hui la taille du marché des private markets ?
À ce jour, ils représentent près de 15’000 milliards de dollars. Le private equity constitue environ un tiers de ce volume, tandis que le private debt et le venture capital en représentent chacun environ un quart. Les infrastructures approchent les 20 %. Le marché secondaire gagne également en importance, pesant aujourd’hui 16 % de ces marchés privés. Sa montée en puissance est due pour beaucoup aux corrections subies ces deux dernières années par le segment private equity.
Quelles tendances structurelles soutiennent ces marchés ?
L’infrastructure est l’un des thèmes les plus porteurs que nous voyons en ce moment. Comme nous le mentionnions, les besoins en investissements pour ces 20 à 25 prochaines années, tournent autour des 100’000 milliards de dollars. La moitié de cette somme concerne l’Asie, notamment pour les réseaux routiers et les infrastructures énergétiques.
L’intelligence artificielle est aussi une tendance majeure, car elle touche tous les secteurs et entraîne d’importants besoins en financement, ne serait-ce que pour la construction et l’alimentation en énergie des data centers.
Enfin, le private debt s’impose comme une alternative au financement bancaire traditionnel en perte de vitesse, particulièrement en Europe, où les réglementations très strictes, surtout en termes de fonds propres, limitent la capacité des banques à prêter. On observe d’ailleurs une montée en puissance des acteurs américains sur le marché européen où les opportunités leur apparaissent clairement. Il y a des espaces à prendre.
Quel est le principe des fonds evergreen, comme celui que vous venez de lancer ?
Ils se distinguent sur plusieurs points. Tout d’abord, la liquidité : la valeur nette d’inventaire est calculée trimestriellement, offrant une certaine liquidité aux investisseurs, avec cependant quelques limites en termes de sortie. Ensuite, les fonds evergreen permettent une mise en action immédiate des capitaux, contrairement aux fonds de private equity traditionnels, où les calls peuvent s’étaler sur de longues périodes avec des valorisations qui ressemblent alors à des courbes en J. Sur ce point, le modèle evergreen suscite d’ailleurs un intérêt croissant chez les investisseurs institutionnels, prêts à revoir légèrement à la baisse leur espérance de rendement attendu pour plus de flexibilité. Enfin, les seuils d’investissement sont plus bas, et offrent ainsi des moyens de diversification immédiats.
Pourquoi vous êtes-vous décidé à lancer ce fonds de fonds ?
Nous avons une expertise reconnue dans la sélection de fonds. Nous maîtrisons particulièrement bien le modèle fonds de fonds où nous mettons en œuvre des processus rigoureux, tant qualitatifs que quantitatifs. Nous avons décidé d’appliquer cette approche aux solutions evergreen car nous avons constaté que le marché s’étoffait, avec un nombre suffisant d’opportunités pour justifier la création d’un véhicule spécialisé. Aujourd’hui, plusieurs dizaines de fonds de qualité existent dans cet univers.
Pourquoi les processus de sélection sont-ils si importants ?
Dans le monde des marchés privés, la dispersion des performances reste quand même assez considérable. L’écart entre le premier et le dernier quartile atteint 21 % pour le private equity, 22 % pour le venture capital et 14 % pour les hedge funds. Une bonne sélection est donc cruciale. Dans le private equity, les fonds les plus performants ont heureusement tendance à maintenir de solides performances sur le long terme.
Comment est investi votre fonds evergreen ?
Nous avons sélectionné sept fonds : cinq en private equity et deux en infrastructures. Parmi eux, on retrouve Blackstone, Partners Group et Hamilton Lane. Certains sont spécialisés, d’autres plus diversifiés, combinant secondaire, primaire, growth et buyout. Chez Partners Group, nous sommes investis dans le fonds Global Value depuis de nombreuses années, celui-ci fêtera bientôt ses 20 ans et qui, malgré les crises successives, n’a jamais eu besoin d’activer ses « gates ».
Quel est l’intérêt d’investir aujourd’hui dans ce type de produit?
Il y a un intérêt flagrant, en termes de diversification et de gestion du couple rendement-risque au sein d’un portefeuille. Une poche de 10% allouée aux marchés privés dans un portefeuille 60-40 peut générer facilement 50 points de base de plus en rendement et réduire d’autant la volatilité.
Il faut voir aussi que les marchés privés donnent accès à un très grand nombre de sociétés. Aux Etats-Unis, dans les entreprises qui génèrent plus de 100 millions de dollars de chiffre d’affaires, 90% appartiennent encore au secteur privé. La proposition de valeur du private equity se situe là, et il en va de même pour le private debt, un marché désormais bien structuré, surtout aux États-Unis.
En 2022, par exemple, quand les marchés ont corrigé, notre exposition aux marchés privés nous a offert une bonne protection. Bien sûr, lorsque les marchés repartent, nous ne capturons pas autant de croissance, mais au final, le profil reste intéressant. Notre objectif est de viser un rendement net de 10 % par an, avec une volatilité contenue. C’est donc une proposition d’investissement qui mérite l’attention. D’autant que le timing nous semble aussi assez propice après la correction dont ont souffert les marchés privés ces deux dernières années.
Angel Sanz
NS Partners
Angel Sanz a rejoint NS Partners en 2012. Il y occupe les fonctions de Chief Investment Officer et il en dirige également la division Asset Management. À ce titre, il supervise le département Allocation d’actifs du groupe de même qu’il encadre les équipes dédiées au long only et à l’alternatif.
Avant de rejoindre NS Partners, Angel a occupé trois postes de CIO chez Bankia, BBVA Asset Management et M&B Capital. Avant de débuter sa carrière financière en 1991, il a travaillé pendant quatre ans en tant qu’ingénieur logiciel chez AT&T Bell Labs, aux États-Unis.
Angel est titulaire d’un MBA de l’Université de Lehigh (États-Unis) ainsi que d’un Master en ingénierie électrique de l’Université de Valladolid, en Espagne.
Cédric Dingens
NS Partners
Cédric Dingens dirige le pôle « Investment Solutions & Institutional Clients » de NS Partners. Cédric a débuté sa carrière à la Banque du Luxembourg en 2001. L’année suivante, il a rejoint Notz Stucki à Luxembourg en tant que gestionnaire de portefeuille. Il a développé le cadre interne de gestion des risques quantitatifs avant d’être nommé responsable de la gestion des risques à Genève en 2010, puis d’être promu à son poste actuel en 2016. Il est titulaire d’un diplôme en finance quantitative de l’École nationale supérieure des mines de Nancy (France) et détient la certification Chartered Alternative Investment Analyst.
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