Thème de l’or – Intégrale 4/4
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- Interview Frédéric Dawance, associé-gérant, et Thierry Zen Ruffinen, directeur adjoint
- de Pury Pictet Turrettini
« Il faut avancer sur deux axes pour assainir et améliorer le commerce de l’or »
Dans ce premier opus de L’Intégrale, série d’entretiens explorant en profondeur un même thème, Frédéric Dawance et Thierry Zen Ruffinen nous font découvrir le marché de l’or sous tous ses angles. Le quatrième et dernier interview de cette série est consacré à la traçabilité et à l’impact sociétal appelés à s’imposer sur ce marché, au travers notamment d’initiatives comme Swiss Better Gold.
Par Jérôme Sicard
Auri sacra fames, « l’exécrable soif de l’or », écrivait Virgile il y a deux millénaires. En quoi le marché de l’or présente-t-il encore des aspects problématiques ou répréhensibles ?
L’or a toujours eu un caractère très ambigu. D’un côté, il incarne la pureté et l’éclat – on parle d’un « ami en or » comme d’un trésor inestimable. De l’autre, il symbolise la cupidité et la malédiction, à l’image du roi Midas, qui transformait en or tout ce qu’il touchait, jusqu’à sa propre nourriture, et a préféré finir dans la pauvreté. Il y a aussi Alberich, le nain de L’Or du Rhin, décidément prêt à tout pour le posséder, jusqu’à asservir tous ses semblables.
Au-delà des mythes, l’histoire de l’or est aussi jalonnée de conquêtes qui vont souvent de pair avec des tragédies bien réelles. De la ruée vers l’or du Nouveau Monde aux XVᵉ et XVIᵉ siècles, qui précipita la chute des empires incas et aztèques, jusqu’à l’or sud-africain sous l’apartheid, l’or a souvent été synonyme d’exploitation et d’injustice.
Aujourd’hui encore, le marché aurifère a un revers à sa médaille. De grandes places comme la Russie ou la Chine fonctionnent en vases clos, peu concernées par les standards de transparence et de responsabilité fixés par la LBMA. Mais l’un des enjeux les plus préoccupants reste l’or illégal : chaque année, près de 400 tonnes d’or sont exportées clandestinement d’Afrique, principalement issues de l’orpaillage artisanal. Cela représente 15 % de la production mondiale – un phénomène massif, loin d’être un simple effet secondaire marginal.
Quelles mesures sont prises pour contrer ce phénomène ?
C’est une question complexe. L’enjeu principal, c’est l’encadrement des mineurs dans leur pays d’origine. Si on parvient à structurer et formaliser cette activité, notamment pour les 15 % de mineurs qui pourraient intégrer un cadre légal, alors on transforme ce secteur en une industrie comme une autre, avec un impact économique fort. C’est dans cette direction que travaillent les gouvernements. Des initiatives comme Swiss Better Gold collaborent avec les autorités pour aller dans ce sens. C’est une vision à long terme, mais c’est là qu’il faut aller.
En parallèle, il faut empêcher que cet or illégal entre dans le système. Si on refuse d’avoir des matières premières d’origine douteuse dans notre chaîne de valeur – et donc, in fine, dans nos lingots, nos bijoux et nos montres – il faut agir en amont. Aujourd’hui, la principale porte d’entrée semble être les Émirats arabes unis. La Suisse, comme d’autres pays, exerce une certaine pression pour que les Émirats renforcent leurs contrôles.
Il est clair qu’une grande partie de l’or importé en Suisse est déclarée comme provenant des Émirats arabes unis. Or, il n’y a pas de mines d’or là-bas. Cet or vient donc forcément d’ailleurs. C’est pourquoi il y a une demande insistante pour introduire un champ obligatoire dans les documents douaniers indiquant l’origine réelle de la marchandise lors de l’importation en Suisse.
Encore une fois, le recyclage de l’or n’est pas un problème en soi. C’est le manque de transparence autour de cet or recyclé qui crée un immense problème.
Quels standards faut-il établir aujourd’hui pour garantir à l’or une extraction et une commercialisation responsables ?
Le premier standard, c’est la traçabilité. Une fois que les acteurs sont identifiés, on peut les mettre face à leurs responsabilités. Et les progrès suivent vite. Donc, la traçabilité, c’est vraiment essentiel.
Le deuxième enjeu, c’est l’impact sociétal. Aujourd’hui, 20 % de l’or mondial provient de mineurs artisanaux. Cette activité fait vivre des centaines de millions de personnes, mais ces travailleurs restent exclus des chaînes de valeur formelles.
Autrement dit, la traçabilité permet d’écarter les mauvaises pratiques, mais il faut aussi mieux intégrer ces mineurs au marché officiel. C’est sur ces deux axes qu’on doit avancer pour assainir et améliorer le commerce de l’or.
Dans la chaîne d’approvisionnement de l’or, comment renforcer encore sa traçabilité ?
Il y a d’abord l’aspect pratique : il faut des outils concrets, acceptés et adoptés par tous, qui garantissent une traçabilité fiable. Ensuite, il y a la réglementation. On peut très bien imaginer qu’un jour, seul l’or traçable puisse être traité en Suisse. On n’en est pas encore là, mais c’est une piste envisageable.
Il faut également que les producteurs et les mineurs soient parties prenantes dans cette réflexion. Si les exigences sont trop élevées, on risque d’exclure une partie des acteurs de la discussion, ou des échanges, simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’y conformer autant qu’ils le voudraient. Il faut être pragmatique.
Aujourd’hui, 600 tonnes d’or sont échangées chaque jour sur le marché alors que la production mondiale annuelle n’est de 3’000 tonnes. Autrement dit, chaque semaine, c’est l’équivalent de la production annuelle qui est échangé. C’est pourquoi, au-delà de l’or fraîchement extrait, il faut aussi prendre en compte le stock en circulation.
Quel rôle joue plus exactement l’initiative Swiss Better Gold, à laquelle vous vous êtes associés ?
Swiss Better Gold est l’initiative de référence pour l’or artisanal. Elle a l’avantage d’être soutenue à la fois par le gouvernement suisse, via le SECO, par les grands raffineurs suisses qui en sont membres, et par les utilisateurs finaux comme les joailliers – et quelques banques ou institutions financières, dont la nôtre. C’est aujourd’hui un acteur clé qui milite activement pour la réintégration de l’or artisanal dans les chaînes de valeur. On ne peut pas simplement ignorer son existence.
Cela dit, l’initiative reste encore modeste : sur les 3’000 tonnes d’or extraites chaque année dans le monde, 600 tonnes proviennent de mineurs artisanaux formalisés ou non. Swiss Better Gold n’en couvre pour l’instant que 4 à 5 tonnes. Il y a donc une énorme marge de progression. Mais si elle est si lente, c’est aussi parce que les intérêts peuvent diverger au sein de l’industrie.
Pour autant, son existence est essentielle. Quand la Banque centrale du Ghana veut formaliser l’activité des mineurs artisanaux, à qui peut-elle s’adresser ? Il n’existe pas d’autre structure ayant cette expertise. Swiss Better Gold connaît les enjeux, les raffineurs, les clients. C’est une plateforme unique. C’est pourquoi nous la soutenons : elle a le potentiel de fédérer encore plus d’acteurs et de créer un impact positif à grande échelle, sur le long terme.
Frédéric Dawance
De Pury Pictet Turrettini
Frédéric a rejoint de Pury Pictet Turrettini en 2016. Il participe activement à la gouvernance de la société en siégeant au sein du comité de direction, de stratégie et d’audit. Il a débuté sa carrière chez Pictet à Genève, puis chez CSFB à Zurich et à Londres, ainsi que chez Exane à Paris. Après deux ans en tant que CFO d’une société technologique, il a rejoint Lombard Odier & Cie en 2004, d’abord en tant que responsable du trading, puis en tant que co-responsable des produits d’investissement et enfin en tant que responsable d’un important groupe de banquiers privés. Frédéric est titulaire d’un diplôme HEC de l’Université de Saint-Gall et d’une maîtrise en économie de l’Université de Cologne.
Thierry Zen Ruffinen
De Pury Pictet Turrettini
Avec une solide expérience de l’investissement, Thierry Zen Ruffinen a rejoint de Pury Pictet Turrettini en 2021 en tant que responsable de la distribution, où il s’emploie à conseiller une clientèle institutionnelle. Thierry a précédemment été en charge de la distribution des fonds et des mandats de Mirabaud Asset Management auprès de la clientèle institutionnelle romande. Il a commencé sa carrière en 2004 auprès de la Nouvelle Compagnie de Réassurance en tant qu’actuaire tarificateur. Thierry dispose d’un master en actuariat d’HEC Lausanne.
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