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  • Interview Julie Guittard
  • Senior manager
  • Michael Page

Par Jérôme Sicard

 «Il faut qu’il y ait une compréhension réciproque des leviers de motivation»

Pour soutenir leur dynamique de croissance, les sociétés de gestion cherchent de plus en plus à recruter de nouveaux relationship managers, à débaucher des banquiers privés, voire à récupérer des desks complets. Un exercice plus complexe qu’il n’y parait, où un projet d’entreprise solide, un business plan réaliste et une compréhension claire des attentes de chacun sont essentiels pour réussir.

A quoi doit ressembler le pitch des sociétés de gestion qui veulent recruter de nouveaux relationship managers, voire intégrer de nouvelles équipes, dans une logique de croissance externe?

Pour attirer les talents les plus qualifiés, il est essentiel de clarifier précisément la proposition de valeur. Aujourd’hui, avec près de 1’400 autorisa­tions délivrées par la FINMA à des gestion­naires de fortune, autant de propositions de valeur distinctes existent sur le marché. Il est donc crucial de donner du poids au pitch, sans toutefois se méprendre : la rémunération, et éventuellement la possi­bilité d’entrer au capital, resteront des fac­teurs décisifs dans le choix des candidats.

Qu’entendez-vous par proposition de valeur?

La société de gestion doit justifier son recrutement en le replaçant dans un plan stratégique. Attirer un relationship manager ou un banquier privé aujourd’hui nécessite avant tout de présenter un projet d’entre­prise solide, soutenu par une vision à long terme. Il est crucial de stimuler son esprit entrepreneurial, de lui donner envie de construire et de grandir ensemble. Valoriser son apport en le plaçant dans un contexte précis, où il pourra s’épanouir et servir ses clients de manière optimale, est primordial.

La mise en place d’une culture collabora­tive, fondée sur la confiance, l’assurance d’avoir un équilibre entre vie profession­nelle et vie personnelle, notamment par des options telles que le télétravail, sera déter­minante pour convaincre un candidat.

Il est également essentiel d’insister sur les outils à disposition. À l’ère du digital, disposer de technologies avancées est indispensable pour améliorer l’efficacité des RMs, qu’il s’agisse de la gestion de portefeuilles, de l’analyse de données ou des plateformes de communication avec les clients.

A quel type de packages s’attendent les relationship managers ou les banquiers éventuellement prêts à bouger?

Il y a jusqu’à cinq variables, qui rentrent aujourd’hui dans un package. Ça com­mence avec le salaire de base qui se situe la plupart du temps entre 150 et 250’’000 francs. A cette rémunération initiale s’ajou­tent les bonus, qui peuvent représenter jusqu’à 100% du salaire de base. Viennent ensuite les participations aux bénéfices, les avantages sociaux – assez souvent négligés dans les offres – et enfin les primes à l’an­cienneté ou bonus de rétention. Il peut s’agir entre autres de participations aux bénéfices qui augmentent au fil des années.

Quels points vous semblent décisifs dans un recrutement?

Des risques sont pris de part et d’autre. Chacun doit en être pleinement conscient. Pour les minimiser, il faut qu’il y ait une compréhension réciproque des leviers de motivations. Dans les dossiers que nous traitons, nous voyons passer beaucoup de banquiers qui saturent de leur environne­ment bancaire. Il ne ressemble plus à celui qu’ils ont connu à leurs débuts. Ils ne se sen­tent plus alignés à la politique d’organisa­tion. Le généraliste disparaît en effet pour laisser la place à des profils nettement plus spécialisés, dans la gestion de portefeuille, la fiscalité ou le wealth planning. Ces seniors ont bien évidemment envie de bouger pour retrouver leurs repères mais ils savent qu’ils prennent des risques en sortant du système et ils s’attendent en retour à une compensation financière ou à une pleine autonomie.

D’après les retours que vous obtenez, dans quelle mesure chacune des parties doit-elle modérer ses attentes?

Pour chaque recrutement, il y a toujours un business plan qui sert de base de réflexion. Or, il vaut mieux se montrer pru­dent sur ce qu’il contient et savoir le pon­dérer car la réalité s’écarte assez vite du postulat de départ. La question clé repose bien évidemment sur le temps nécessaire au transfert du portefeuille Clients. Cer­tains gérants se donnent trois à six mois, au grand maximum pour voir le book arriver. D’autres, qui ont les reins un peu plus soli­des, peuvent patienter davantage, de douze à dix-huit mois. Reste à voir égale­ment quelle proportion du book sera récu­pérée au final, autrement dit ce que la ban­que réussira à conserver ou non. Voilà ce en quoi chacun doit modérer ses attentes. Mais je pense que les acteurs concernés sont moins naïfs aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a encore quelques années.

Quels sont les grands pièges à éviter pour les uns et les autres?

Il ne faut pas sous-estimer l’adéquation culturelle qui doit s’établir entre les deux parties. En rejoignant un gérant indépen­dant, un banquier privé change d’univers. Il se retrouve du jour au lendemain dans des structures plus légères qui n’ont pas forcé­ment les mêmes ressources, que ce soit en termes de personnel, de prestataires ou d’outils. Beaucoup se voient obligés de sor­tir de leur zone de confort. Côté sociétés de gestion, des relationship managers peuvent avoir de jolis portefeuilles clients mais se trouver dans l’incapacité de les développer, par manque de compétences commercia­les pures. Il est donc indispensable que tous fassent preuve de réalisme en fonction des possibilités et des moyens financiers qu’offre ou non la structure.

Où-recrutez-vous, pour les banques privées ou les sociétés de gestion qui vous le demandent?

Essentiellement dans les banques. C’est le vivier le plus important en ce moment, là où nous voyons le plus de mouvements. La disparition de Credit Suisse a eu un certain impact, de même que la reprise en cours de Société Générale Private Banking Suisse par UBP, mais nous constatons aussi un réel mécontentement chez les ban­quiers les plus expérimentés, âgés de plus de cinquante ans. Ce sont donc des cibles prioritaires. Dans une moindre mesure, nous nous intéressons aussi aux candidats au départ chez les gérants indépendants. Aux lendemains de la mise en application de la LSFin/LEfin plusieurs structures mon­trent en effet des signes de vieillissement, ou d’essoufflement. Je comprends que des relationship managers aient alors la volonté de poursuivre leur carrière dans des struc­tures plus pérennes.

En règle générale, nous ne recrutons que très peu à l’étranger. Que ce soit à Genève ou à Zurich, nous opérons sur un marché très local.

Quelles mesures doivent prendre les banques pour limiter la fuite des talents?

De fait d’une sophistication de plus en plus importante des clients et d’un besoin croissant des banques de les retenir, ces dernières n’ont d’autre choix que de forcer une collaboration entre banquiers et experts métiers, notamment pour la partie investissements. C’est une tendance iné­luctable. Il est donc difficile de retenir des banquiers privés qui ont longtemps opéré en solo et qui sont tenus désormais de se fondre dans un collectif.

Je crois que les banques aujourd’hui ont plutôt intérêt à se concentrer sur les colla­borateurs plus jeunes, à les former, à leur financer des troisièmes cycles et à les engager sur le long terme avec des plans de carrière qu’ils ne trouveront pas forcé­ment chez un gérant indépendant. En soi, les banques ont déjà beaucoup à gagner en s’assurant la fidélité de plus jeunes colla­borateurs, qui présentent un fort potentiel.

Sur quel type d’opérations travaillez-vous en ce moment?

Nos clients, principalement des banques ou des sociétés de gestion, nous sollicitent de plus en plus pour acquérir des desks complets, avec relationship managers, hunters, farmers, assistantes et advisors. Pouvoir récupérer des desks complets sécurise le client. Ensuite, à un autre éche­lon ce sont toujours les fonctions risque et compliance qui nous occupent beaucoup, avec des demandes pour des profils très spécialisés selon les zones géographiques ou les typologies de risque.

Julie Guittard

Michael Page

Spécialisée dans le recrutement au sein du secteur bancaire et des services financiers en Suisse romande, Julie Guittard est senior manager chez Michael Page. Elle a plus de 14 ans d’expérience dans la gestion de talents. Au cours de sa carrière, elle a dirigé des équipes et couvert un large éventail de postes dans les domaines du risque, de la conformité, de la finance, des investissements, des opérations et du front office pour des banques privées, des asset managers et des gestionnaires de fortune ainsi que pour des family offices.

 

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