L’Intégrale
Transition énergétique 3/4
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- Interview Pierre Mouton, Head of long-only strategies, et Alexis Sautereau, senior portfolio manager
- NS Partners
« L’électricité aujourd’hui, c’est un peu le passage de la télévision à internet »
Le deuxième volet de L’Intégrale s’intéresse à la transition énergétique – ou plutôt, à l’adaptation énergétique, selon l’expression privilégiée par Alexis Sautereau et Pierre Mouton. Ce troisième interview de la série porte sur le thème de l’électrification, avec des changements de modèles assez radicaux qui voient l’émergence de réseaux intelligents capables de gérer des flux dans de multiples directions.
Comment adapter le réseau électrique à l’électrification massive de secteurs comme l’industrie ou les transports?
D’abord, l’écart entre l’Europe et les États-Unis en matière d’infrastructures électriques est frappant. Contrairement à l’image souvent véhiculée, l’Europe n’est pas nécessairement en retard. Un simple détour par Malibu, en Californie, suffit pour constater le triste sort de certaines infrastructures électriques américaines, laissées quasiment à l’abandon depuis des décennies. À l’inverse, de nombreuses villes européennes ont enterré leurs réseaux et modernisé leur distribution électrique avec énormément de rigueur.
Ce sera peut-être plus facile pour de nombreux pays émergents, dont les infrastructures sont inexistantes ou peu développées, il est souvent plus simple de construire du neuf que de moderniser un système hérité, surtout lorsque les nouveaux modèles n’obéissent plus aux schémas traditionnels.
Jusqu’aujourd’hui, les réseaux électriques étaient essentiellement centralisés : quelques grandes installations produisaient l’énergie, ensuite acheminée vers les consommateurs. C’est un modèle, vertical et unidirectionnel, qui rappelle celui de la télévision traditionnelle : un contenu produit par quelques-uns, diffusé à tous, sans interaction.
Aujourd’hui, avec la montée en puissance des énergies renouvelables et la multiplication des sources de production, nous passons à un modèle distribué et interactif. C’est un peu comme le passage de la télévision à Internet : d’un système “one way” à un écosystème “two way” avec une infinité de producteurs et de points d’échange. L’électricité devient une affaire de réseaux intelligents, capables de gérer des flux dans toutes les directions.
Deux axes sont donc prioritaires : le renouvellement des infrastructures, dans une logique décentralisée, interconnectée, et la gestion intelligente de ces réseaux, grâce notamment à l’intelligence artificielle, pour optimiser les flux, et équilibrer l’offre et la demande en temps réel.
En dehors des transports, dans quels secteurs l’électrification ouvre-t-elle les perspectives les plus prometteuses?
C’est dans l’industrie que les opportunités sont les plus substantielles, mais aussi les plus complexes. Certains procédés industriels reposent encore aujourd’hui presque exclusivement sur les énergies fossiles, et le passage à l’électrique est encore loin d’être acquise, comme par exemple dans la fabrication du ciment : à l’heure actuelle, c’est techniquement impossible. On se heurte là aux limites de la physique, mais aussi à celles de nos connaissances actuelles.
Cela dit, ce sont justement ces contraintes qui laissent entrevoir d’immenses marges de progression, mais elles demandent énormément d’efforts – et de capitaux – en matière de recherche et de développement.
Nous nous plaçons par ailleurs dans une logique nouvelle : il ne s’agit plus uniquement d’augmenter la production ou de réduire la consommation d’énergie, mais d’ajuster précisément la puissance nécessaire à la puissance réellement disponible. Cela suppose une gestion fine, intelligente, en temps réel, des flux énergétiques.
C’est sur ce terrain celui de l’optimisation systémique, que les avancées sont les plus rapides et les plus mesurables. Cette exigence est d’autant plus forte que certains secteurs, comme les data centers, ne tolèrent aucune faille. Les niveaux de fiabilité attendus vont devenir de plus en plus élevés, avec des besoins de redondance que les usages domestiques n’exigent pas.
Quels grands acteurs vous semblent les mieux positionnés sur le thème de l’électrification?
On voit aujourd’hui deux mondes qui convergent sur ce thème. D’un côté, les grands groupes industriels, historiques, et de l’autre, des nouveaux entrants beaucoup plus agiles, plutôt dans les domaines du software ou de l’intelligence artificielle. Des acteurs comme Vesta, par exemple, se positionnent plutôt sur la gestion intelligente des réseaux.
Chez les industriels « classiques », on retrouve des noms bien connus – parfois directement, parfois à travers des filiales, notamment lorsqu’il s’agit d’aller chercher des financements de manière plus ciblée. C’est le cas de Genova, la filiale de General Electric. D’autres groupes fonctionnent de manière plus intégrée, comme Siemens ou Schneider.
Autour de ces poids lourds gravitent de nombreuses petites entreprises, très innovantes, qui se positionnent à différents niveaux de la chaîne de valeur. Mais dans la plupart des cas, ces structures finissent par se faire absorber Les grands groupes y voient un moyen d’enrichir leur offre, de capter des briques technologiques clés et de répondre plus efficacement aux besoins clients.
Parce qu’au fond, pour un client, il est beaucoup plus simple d’avoir un ou deux interlocuteurs capables de gérer l’ensemble de son écosystème énergétique, plutôt que de devoir coordonner une douzaine de prestataires. L’enjeu, c’est la lisibilité et l’intégration.
À terme, les énergies renouvelables ont-elles vraiment la capacité de soutenir l’électrification croissante de la demande énergétique?
À ce stade, nous voudrions faire une petite parenthèse sur ce qu’on appelle la « transition énergétique ». Nous avons des doutes sur la direction réelle de cette transition. Il serait plus juste – et plus raisonnable – de parler d’adaptation énergétique. Parce qu’on ne basculera pas, du jour au lendemain – et peut-être même jamais – vers un système entièrement alimenté par des sources renouvelables. C’est tout simplement irréaliste.
Les énergies renouvelables occupent aujourd’hui une place non négligeable dans le mix énergétique, c’est vrai. Mais tant qu’on n’aura pas résolu la question du stockage de longue durée, elles resteront structurellement secondaires.
Sans percée scientifique majeure, il est donc difficile d’imaginer un mix énergétique qui se passerait des énergies fossiles à moyen terme. Et d’ailleurs, on le voit déjà : le gaz naturel gagne du terrain. On redécouvre ses vertus. Il est abondant, son coût marginal est faible, et surtout, les infrastructures pour le produire, le transporter et le distribuer existent déjà.
Aujourd’hui, le gaz naturel représente environ 23 % du mix énergétique mondial. C’est la troisième source d’énergie la plus utilisée dans le monde, après le pétrole et le charbon. Et si la transition continue de montrer ses limites, il n’est pas exclu que cette part augmente dans les années à venir.
Menée à grande échelle, comment l’électrification va-t-elle impacter les prix pour les consommateurs?
La politique a très certainement un rôle à jouer, mais il est tout aussi essentiel de limiter les interventions étatiques. Il est indéniable qu’il faut faire évoluer les infrastructures, ce qui entraîne des coûts, mais il faut bien savoir que la question des prix ne provient pas uniquement de ces infrastructures. La crise ukrainienne a mis en lumière des lacunes stratégiques, notamment en matière de diversification des sources d’approvisionnement. Il est difficile de comprendre comment l’Allemagne a pu dépendre exclusivement de la Russie pendant si longtemps !
En ce qui concerne les besoins d’investissement, il existe une distinction claire entre la consommation industrielle et la consommation domestique. Les deux segments ne nécessitent pas les mêmes investissements. Cependant, jusqu’à présent, les évolutions des infrastructures, des modes de production et de distribution n’ont pas décidé des prix.
Quels sont, selon vous, les problèmes majeurs à résoudre encore dans ce vaste chantier de l’électrification, en dehors du stockage longue durée pour les énergies renouvelables?
La disponibilité des ressources naturelles est inquiétante. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de quantité, mais aussi de qualité. Les gisements de métaux deviennent de moins en moins riches : les teneurs diminuent, ce qui oblige à extraire et traiter des volumes de roche beaucoup plus importants pour obtenir la même quantité de métal. Une tonne de minerai pouvait autrefois contenir jusqu’à 10 % de cuivre. Aujourd’hui, cette proportion est tombée souvent sous la barre des 1 %. Conséquence : les coûts d’exploitation explosent, les rendements économiques diminuent, et il devient de plus en plus difficile de justifier certains investissements sur le long terme dans l’extraction de métaux. Maintenant, plus les contraintes augmentent, plus les incitations à trouver des solutions innovantes se multiplient. C’est là que se créent beaucoup d’opportunités.
Pierre Mouton répondra aux questions de Jérôme Sicard le 13 mai à Genève, à l’hôtel Métropole, lors de l’évènement Podium organisé par SPHERE.
Pierre Mouton
NS Partners
Pierre Mouton a rejoint NS Partners en 2003. Il dirige les stratégies Long Only du groupe et il est membre également du comité d’allocation d’actifs. Pierre a débuté sa carrière financière en 1993 chez AG2R La Mondiale, où il a successivement géré des portefeuilles monétaires, obligataires et actions, avant de rejoindre en 2000 Fiduciary Trust à Genève et d’entrer ensuite chez NS Partners comme gestionnaire de portefeuille. En 2004, il a co-fondé Messidor Finance, avant de revenir chez NS Partners en 2010. Pierre Mouton est titulaire d’une licence et d’un master en finance, actuariat et gestion de portefeuille de SKEMA Business School à Lille, France.
Alexis Sautereau
NS Partners
Alexis Sautereau a rejoint NS Partners en 2020. Il a plus de 20 ans d’expérience dans divers secteurs financiers. Il a commencé par travailler dans le trading d’options et d’actions avant de s’orienter vers le conseil en technologie puis la finance d’entreprise. En 1999, il rejoint Unigestion, l’un des leaders européens de la gestion alternative, dont il devient directeur exécutif, avant de le quitter en 2002 pour fonder Jam Research.
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