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- Interview Dorothée Borca Dumortier
- Chief Executive Officer
- IG Bank
« Les banques doivent faire évoluer leur état d’esprit pour Raisonner Client. »
La digitalisation du secteur financier en Suisse, très en retard, se joue aussi sur la capacité des banques à repenser leur culture et leurs priorités. Pour Dorothée Borca Dumortier, elles doivent apprendre à fluidifier les parcours et à construire des expériences digitales cohérentes, transparentes sans friction. Dans un environnement où la rapidité, la personnalisation et la data redéfinissent les règles du jeu, elles sont désormais tenues de conjuguer agilité technologique et intelligence relationnelle.
Par Jérôme Sicard
Dans le récent classement mondial de Deloitte sur le digital et le secteur bancaire, la Suisse a chuté au 27e rang. Comment expliquez-vous ce recul alarmant ?
Ce classement reflète une réalité : la Suisse excelle peut-être dans les domaines de la sécurité et de la conformité, mais elle a tardé à investir dans l’expérience utilisateur et l’agilité technologique. Or, l’enjeu est colossal. D’ici 2048, ce sont environ 85’000 milliards de dollars qui vont être transférés entre générations. Les héritiers de ces fortunes ont des attentes radicalement différentes en matière d’expérience digitale. Les banques et institutions financières qui ne se transforment pas maintenant risquent tout simplement de louper le coche.
Dans quelle mesure le legacy des core banking systems freine-t-il la digitalisation des services financiers en Suisse ?
Il freine considérablement, mais pas de manière insurmontable. Le vrai problème n’est pas technique – il est selon moi plus culturel et organisationnel. Les banques doivent faire évoluer leur état d’esprit pour « raisonner client », en cherchant constamment à retirer toute friction dans le parcours, sans se laisser limiter par les contraintes techniques. Beaucoup de banques suisses manquent encore d’un processus end-to-end entièrement digitalisé pour l’ouverture de comptes, perdant des clients durant le tout le cycle onboarding. Trop d’institutions semblent attendre la solution parfaite plutôt que d’adopter une approche modulaire. Chez IG, nous avons fait le choix inverse : privilégier le progrès à la perfection, avec une architecture ouverte supportant des APIs sophistiquées, des protocoles multiples comme FIX ou Bloomberg EMSX, et une intégration progressive qui permet des solutions en temps réel. Le legacy se contourne par l’agilité et une approche pragmatique centrée sur l’expérience utilisateur.
Qu’est-ce qui distingue aujourd’hui les digital champions dans les services financiers, et plus particulièrement dans la gestion de fortune ?
Trois éléments font la différence : la rapidité d’exécution et de décision, la capacité à personnaliser l’expérience de chaque client grâce à une exploitation intelligente des données, et surtout, la création de cycles vertueux où chaque interaction génère de la valeur et renforce la relation client. Mais ce qui sépare vraiment les champions des autres, c’est leur proposition de valeur. Elle doit être claire, différenciante, et immédiatement perceptible par le client. Dans la gestion de fortune, ceux qui gagneront demain seront ceux qui orchestreront des écosystèmes digitaux où conseil, trading et analyse de données sont intégrés de manière fluide – tout en délivrant une expérience utilisateur irréprochable à chaque point de contact.
Vous-même IG Bank, où pensez-vous avoir pris le plus d’avance ?
Notre avance se situe dans deux domaines concrets. D’abord, l’exécution en temps réel. Nos clients tradent sur plus de 17’000 instruments financiers avec une latence minimale et une transparence sur les prix et l’exécution. Ensuite, l’innovation produit : nous développons actuellement une approche de segmentation client entièrement repensée, basée sur l’engagement réel plutôt que sur des critères statiques. C’est notre direction stratégique – créer une expérience qui évolue avec l’activité du client et qui récompense l’engagement, pas simplement le volume d’actifs.
Deloitte insiste sur la nécessité d’un « mobile-first mindset » et d’une expérience utilisateur « future proof ». Comment faut-il le comprendre ?
« Mobile-first » ne signifie pas simplement adapter un site web à un écran plus petit. C’est concevoir l’expérience complète pour des utilisateurs qui attendent une réactivité instantanée, une navigation instinctive, et surtout, une continuité parfaite entre mobile, desktop et API. « Future proof » signifie bâtir une architecture qui s’adapte aux comportements émergents – voice, AI agents, embedded finance – sans refonte complète à chaque innovation. L’embedded finance permet d’intégrer des services de trading directement dans d’autres applications, comme votre outil de gestion patrimoniale, sans jamais en sortir. Ces tendances continueront à se développer. Les banques doivent impérativement rester pertinentes face à une génération qui a grandi avec Netflix, Uber et Amazon.
Comment travaillez-vous concrètement sur la fluidité, la personnalisation et la conformité de vos parcours digitaux ?
Nous avons engagé un travail de fond sur trois axes simultanés, avec l’obsession de raisonner client. La fluidité d’abord. Nous avons lancé un processus de cartographie systématique de nos parcours clients pour identifier et éliminer les frictions. Notre démarche consiste à remettre en question chaque clic superflu, chaque formulaire redondant, chaque délai injustifié. Le client doit atteindre son objectif dans le minimum de temps et d’étapes possible. Ensuite la personnalisation. Nous travaillons sur la capacité à délivrer le bon contenu analytique au bon moment. Nos analystes produisent des contenus riches – analyses de marché, perspectives sectorielles, webinaires – et notre enjeu est de les acheminer de manière pertinente selon les intérêts et l’activité de chaque client. Enfin la conformité. Nous sommes en train d’accélérer nos processus digitaux KYC/AML, avec pour objectif de réduire les délais et la complexité pour le client tout en maintenant la rigueur réglementaire. Le défi est de transformer ce qui est perçu comme une contrainte administrative en une étape fluide du parcours client. C’est là que l’UX fait toute la différence.
L’étude Deloitte souligne également le rôle stratégique de la personnalisation dans la conversion des interactions digitales en revenus. Comment, chez IG Bank, abordez-vous la donnée client et l’intelligence artificielle pour y parvenir ?
Nous travaillons à développer une approche pragmatique et progressive. L’intelligence artificielle chez IG doit servir trois objectifs mesurables. L’anticipation du comportement client, l’optimisation des interactions, et la personnalisation de l’expérience. En tant que plateforme digitale execution-only, nous ne faisons pas de recommandations d’investissement, mais nous proposons un contenu analytique riche produit par nos analystes. L’IA nous permettra d’acheminer le bon contenu au bon moment – qu’il s’agisse d’analyses de marché, de webinaires ou d’insights sectoriels – pour que chaque trader puisse prendre ses décisions de manière informée. La clé n’est pas d’accumuler des données – c’est de construire les systèmes qui les transforment en actions commerciales concrètes générant des revenus mesurables, tout en renforçant la proposition de valeur perçue par le client.
Que faut-il changer rapidement pour que les gestionnaires de fortune en Suisse – banques privées, multi-offices, gérants indépendants… se découvrent enfin une vocation de « digital champions » ?
Le digital doit devenir une priorité stratégique au même titre que la performance des portefeuilles. Pour les gérants indépendants et family offices, cela signifie investir dans des solutions qui automatisent le reporting, simplifient l’agrégation des données et fluidifient la conformité. Tout ce qui libère du temps pour le conseil à haute valeur ajoutée.
Il faut repenser également les indicateurs de succès. Intégrer des KPIs centrés sur le client : Net Promoter Score, taux d’adoption des plateformes digitales, satisfaction par parcours. Ces métriques doivent être intégrées aux tableaux de bord stratégiques. Ce qui n’est pas mesuré n’est pas amélioré.
Enfin, il faut accepter qu’on ne peut pas tout construire seul. Le dilemme build versus buy doit être tranché pragmatiquement : développer les compétences cœur de métier, mais s’ouvrir massivement aux partenariats pour le reste. API banking, outils de visualisation patrimoniale, solutions de reporting enrichi – tout existe déjà.
L’urgence est là. La croissance explosive des néo-banques qui cassent les codes traditionnels montre que les attentes ont radicalement changé. Si l’industrie suisse ne se transforme pas dans les 2-3 prochaines années, ces capitaux migreront ailleurs. La Suisse a toujours su se réinventer – l’horlogerie l’a fait, la pharma l’a fait. La gestion privée en est capable aussi.
Dorothée Borca Dumortier
IG Bank 
Forte de 20 ans d’expérience partagée entre banque privée et finance digitale, Dorothée Borca Dumortier est la CEO d’IG Bank., où elle pilote le développement et la vision stratégique de la banque. Elle en était auparavant la Chief Commercial Officer. Dans ces fonctions, elle a façonné la stratégie commerciale tout en renforçant l’expérience client et la performance organisationnelle.
Avant de rejoindre IG en 2020, Dorothée Borca Dumortier a évolué dans des postes de direction chez HSBC Private Bank — où elle s’est spécialisée dans la gestion de clients HNWI et institutionnels en Suisse, Europe, Royaume-Uni et Moyen-Orient — ainsi que chez Piguet Galland, où elle se consacrait aux Gérants Indépendants.
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