L’Intégrale
Transition énergétique 4/4
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- Interview Pierre Mouton, Head of long-only strategies, et Alexis Sautereau, senior portfolio manager
- NS Partners
« Optimiser réseaux et infrastructures pour réduire les quantités de matière nécessaires ».
Le deuxième volet de L’Intégrale s’intéresse à la transition énergétique – ou plutôt, à l’adaptation énergétique, selon l’expression privilégiée par Alexis Sautereau et Pierre Mouton. Le quatrième et dernier interview de la série porte sur le thème des ressources naturelles nécessaires à cette transition, et de leur exploitation devenue aujourd’hui assez préoccupante.
Par Jérôme Sicard
De quelles ressources naturelles la transition énergétique dépend-elle ?
La transition énergétique repose sur tout un ensemble de matières premières qui sont essentielles à la production, au stockage et au transport de l’énergie. Les batteries, par exemple, nécessitent du lithium, du cobalt, du nickel et du graphite. L’aluminium est indispensable aux panneaux solaires, tandis que l’argent et le silicium sont utilisés dans les cellules photovoltaïques.
Et puis, il y a de gigantesques besoins en cuivre, qui entre dans la fabrication des câbles, des moteurs, des éoliennes et des réseaux électriques. Actuellement, le secteur de l’énergie consomme environ un quart de la production mondiale de cuivre — soit 6 à 7 millions de tonnes par an. Avec l’accélération de l’électrification, cette demande pourrait dépasser les 15 millions de tonnes d’ici dix ans.
Enfin, quitte à nous montrer un peu provocateurs, il faut aborder également le cas de l’acier, dont les véhicules électriques sont grands consommateurs, peut-être un peu trop. Nous ne voyons pas vraiment l’intérêt de concevoir et de produire des voitures qui pèsent deux tonnes. La logique nous échappe. Nous ne sommes pas convaincus que ce soit la meilleure façon d’aborder le transport électrique.
Quelles conséquences pourrait avoir la surexploitation des ressources naturelles dans le cadre de la transition énergétique ?
Elle pourrait bien évidemment avoir des effets dévastateurs, et ce pour plusieurs raisons : dégradation accélérée de l’environnement, tensions géopolitiques accrues, et aggravation des conditions sociales dans les zones d’extraction. Ce sont les principales menaces. Prenez par exemple les mines de cobalt en République démocratique du Congo. Les conditions de travail sont déjà inacceptables et la situation peut encore empirer.
Sur le plan économique, la rareté croissante des métaux risque aussi d’entraîner une volatilité accrue des prix. Plus une ressource s’épuise, plus elle devient chère et incertaine. À cela s’ajoute un phénomène préoccupant : la baisse des rendements miniers. Non seulement les gisements sont moins nombreux, mais leur qualité décline. Nous venons d’aborder le sujet du cuivre. Nous pouvons continuer. La teneur moyenne est passée d’environ 1,2 % dans les années 1990 à moins de 0,6 % aujourd’hui dans certaines grandes mines. Résultat : l’exploitation devient plus coûteuse, plus énergivore, et moins rentable.
Extraire les mêmes volumes de matière réclame donc plus d’énergie, plus de produits chimiques, et plus d’atteinte environnementale — un paradoxe inquiétant pour une transition censée porter le label « vert ».
Alors comment gérer au mieux la hausse exponentielle de la demande en cuivre pour s’en tenir à cet exemple ?
Plusieurs fronts ont déjà été ouverts. D’abord avec le développement de nouveaux projets miniers, mais c’est un processus de plus en plus long, de plus en plus coûteux et soumis à des contraintes environnementales de plus en plus lourdes. Il y a ensuite une volonté de plus en plus forte d’intensifier le recyclage : le cuivre est recyclable à 100 %, mais aujourd’hui seule une fraction est effectivement réutilisée. Il y a donc beaucoup de marge de progression dans cette voie. C’est valable pour le cuivre mais aussi pour beaucoup d’autres métaux essentiels à la transition énergétique.
Il est possible aussi d’optimiser les réseaux et infrastructures pour réduire la quantité de matière nécessaire. Et la sécurisation des chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale est devenue stratégique.
Il est une dernière piste à envisager, la moins immédiate, la moins simple : celle des produits de substitution. Il est en effet possible de remplacer les métaux de base par des matériaux composites ou synthétiques. Mais, dans ce domaine, nous nous heurtons encore aux limites de la physique et de ce que nous en savons.
Il reste quand même une question en suspens. Le cuivre recyclé, qui coûte plus cher que le cuivre primaire, peut-il s’imposer pour la simple raison qu’il est plus vertueux ? A ce jour, ce n’est pas évident. Dans l’équation économique, il ne semble pas que la conscience environnementale soit encore suffisamment prise en compte.
Comment est-il possible aujourd’hui d’optimiser la gestion de ces ressources ?
En mettant en place par exemple des filières de recyclage beaucoup plus structurées. En rendant la traçabilité plus systématique. En imposant des standards de durabilité. Et surtout, en concevant les produits dès le départ pour qu’ils soient démontables et récupérables. C’est une logique de cycle de vie. Et c’est en même temps une redéfinition des équilibres économiques et des chaînes de valeur à l’échelle mondiale. À un moment, il serait bien aussi de prendre un peu plus conscience qu’il n’est pas absurde de vouloir laisser quelque chose de viable aux générations futures.
Quelles opportunités d’investissement avez-vous pu identifier dans ce domaine ?
Le recyclage des métaux stratégiques est un terrain en plein essor. Tout comme les technologies de batteries alternatives, les infrastructures pour les réseaux intelligents ou encore les fonds spécialisés dans les métaux critiques. Les opportunités sont nombreuses, à condition d’adopter une vision long terme et de savoir faire preuve de patience. A plus court terme, il est clair que la gestion intelligente des réseaux est probablement un des vecteurs sur lequel se concentre énormément d’efforts avec des gains substantiels à la clé. Parce qu’il devient plus facile de mieux gérer en amont, mais aussi parce qu’il est possible pour les consommateurs — qu’ils soient industriels ou particuliers — d’adapter plus intelligemment leur manière de consommer l’énergie. De façon simple et généralisée, cela peut déjà avoir un impact assez considérable.
Comment les grands acteurs du secteur des matières premières se préparent-ils aux bouleversements liés à la transition énergétique ?
Les industriels investissent massivement dans la recherche, notamment autour des matériaux composites, afin de réduire leur dépendance aux métaux traditionnels. Toutefois, en ce qui concerne certaines propriétés physiques essentielles — comme la conductivité électrique —, il n’existe pour l’instant aucune alternative crédible aux métaux connus, en particulier le cuivre. Malheureusement, la physique impose encore ses limites.
Parallèlement, les grands groupes miniers, comme Rio Tinto, ont pris conscience de la diminution de la qualité des gisements et de l’appauvrissement des ressources. Cette réalité les pousse à anticiper et à financer des programmes de recherche visant à développer des matériaux hybrides. L’objectif ? Maintenir des performances techniques équivalentes — notamment en matière de conductivité — tout en réduisant la part de cuivre utilisé.
Il ne s’agit pas encore de remplacer complètement les métaux existants, mais plutôt d’imaginer des solutions intermédiaires permettant de prolonger la durée de vie des ressources et de préserver la viabilité économique du secteur. Finalement, pour rester positif, plus les contraintes augmentent, plus la pression s’accroît pour trouver des alternatives innovantes.
Pierre Mouton
NS Partners
Pierre Mouton a rejoint NS Partners en 2003. Il dirige les stratégies Long Only du groupe et il est membre également du comité d’allocation d’actifs. Pierre a débuté sa carrière financière en 1993 chez AG2R La Mondiale, où il a successivement géré des portefeuilles monétaires, obligataires et actions, avant de rejoindre en 2000 Fiduciary Trust à Genève et d’entrer ensuite chez NS Partners comme gestionnaire de portefeuille. En 2004, il a co-fondé Messidor Finance, avant de revenir chez NS Partners en 2010. Pierre Mouton est titulaire d’une licence et d’un master en finance, actuariat et gestion de portefeuille de SKEMA Business School à Lille, France.
Alexis Sautereau
NS Partners
Alexis Sautereau a rejoint NS Partners en 2020. Il a plus de 20 ans d’expérience dans divers secteurs financiers. Il a commencé par travailler dans le trading d’options et d’actions avant de s’orienter vers le conseil en technologie puis la finance d’entreprise. En 1999, il rejoint Unigestion, l’un des leaders européens de la gestion alternative, dont il devient directeur exécutif, avant de le quitter en 2002 pour fonder Jam Research.
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