Réajustements

Leaders

  • Interview Dorothée Borca Dumortier
  • Chief Executive Officer
  • IG Bank

« Les banques doivent faire évoluer leur état d’esprit pour Raisonner Client. »

La digitalisation du secteur financier en Suisse, très en retard, se joue aussi sur la capacité des banques à repenser leur culture et leurs priorités. Pour Dorothée Borca Dumortier, elles doivent apprendre à fluidifier les parcours et à construire des expériences digitales cohérentes, transparentes sans friction. Dans un environnement où la rapidité, la personnalisation et la data redéfinissent les règles du jeu, elles sont désormais tenues de conjuguer agilité technologique et intelligence relationnelle.

Par Jérôme Sicard

Dans le récent classement mondial de Deloitte sur le digital et le secteur bancaire, la Suisse a chuté au 27e rang. Comment expliquez-vous ce recul alarmant ?

Ce classement reflète une réalité : la Suisse excelle peut-être dans les domaines de la sécurité et de la conformité, mais elle a tardé à investir dans l’expérience utilisateur et l’agilité technologique. Or, l’enjeu est colossal. D’ici 2048, ce sont environ 85’000 milliards de dollars qui vont être transférés entre générations. Les héritiers de ces fortunes ont des attentes radicalement différentes en matière d’expérience digitale. Les banques et institutions financières qui ne se transforment pas maintenant risquent tout simplement de louper le coche.

Dans quelle mesure le legacy des core banking systems freine-t-il la digitalisation des services financiers en Suisse ?

Il freine considérablement, mais pas de manière insurmontable. Le vrai problème n’est pas technique – il est selon moi plus culturel et organisationnel. Les banques doivent faire évoluer leur état d’esprit pour « raisonner client », en cherchant constamment à retirer toute friction dans le parcours, sans se laisser limiter par les contraintes techniques. Beaucoup de banques suisses manquent encore d’un processus end-to-end entièrement digitalisé pour l’ouverture de comptes, perdant des clients durant le tout le cycle onboarding. Trop d’institutions semblent attendre la solution parfaite plutôt que d’adopter une approche modulaire. Chez IG, nous avons fait le choix inverse : privilégier le progrès à la perfection, avec une architecture ouverte supportant des APIs sophistiquées, des protocoles multiples comme FIX ou Bloomberg EMSX, et une intégration progressive qui permet des solutions en temps réel. Le legacy se contourne par l’agilité et une approche pragmatique centrée sur l’expérience utilisateur.

Qu’est-ce qui distingue aujourd’hui les digital champions dans les services financiers, et plus particulièrement dans la gestion de fortune ?

Trois éléments font la différence : la rapidité d’exécution et de décision, la capacité à personnaliser l’expérience de chaque client grâce à une exploitation intelligente des données, et surtout, la création de cycles vertueux où chaque interaction génère de la valeur et renforce la relation client. Mais ce qui sépare vraiment les champions des autres, c’est leur proposition de valeur. Elle doit être claire, différenciante, et immédiatement perceptible par le client. Dans la gestion de fortune, ceux qui gagneront demain seront ceux qui orchestreront des écosystèmes digitaux où conseil, trading et analyse de données sont intégrés de manière fluide – tout en délivrant une expérience utilisateur irréprochable à chaque point de contact.

Vous-même IG Bank, où pensez-vous avoir pris le plus d’avance ?

Notre avance se situe dans deux domaines concrets. D’abord, l’exécution en temps réel. Nos clients tradent sur plus de 17’000 instruments financiers avec une latence minimale et une transparence sur les prix et l’exécution. Ensuite, l’innovation produit : nous développons actuellement une approche de segmentation client entièrement repensée, basée sur l’engagement réel plutôt que sur des critères statiques. C’est notre direction stratégique – créer une expérience qui évolue avec l’activité du client et qui récompense l’engagement, pas simplement le volume d’actifs.

Deloitte insiste sur la nécessité d’un « mobile-first mindset » et d’une expérience utilisateur « future proof ». Comment faut-il le comprendre ?

« Mobile-first » ne signifie pas simplement adapter un site web à un écran plus petit. C’est concevoir l’expérience complète pour des utilisateurs qui attendent une réactivité instantanée, une navigation instinctive, et surtout, une continuité parfaite entre mobile, desktop et API. « Future proof » signifie bâtir une architecture qui s’adapte aux comportements émergents – voice, AI agents, embedded finance – sans refonte complète à chaque innovation. L’embedded finance permet d’intégrer des services de trading directement dans d’autres applications, comme votre outil de gestion patrimoniale, sans jamais en sortir. Ces tendances continueront à se développer. Les banques doivent impérativement rester pertinentes face à une génération qui a grandi avec Netflix, Uber et Amazon.

Comment travaillez-vous concrètement sur la fluidité, la personnalisation et la conformité de vos parcours digitaux ?

Nous avons engagé un travail de fond sur trois axes simultanés, avec l’obsession de raisonner client. La fluidité d’abord. Nous avons lancé un processus de cartographie systématique de nos parcours clients pour identifier et éliminer les frictions. Notre démarche consiste à remettre en question chaque clic superflu, chaque formulaire redondant, chaque délai injustifié. Le client doit atteindre son objectif dans le minimum de temps et d’étapes possible. Ensuite la personnalisation. Nous travaillons sur la capacité à délivrer le bon contenu analytique au bon moment. Nos analystes produisent des contenus riches – analyses de marché, perspectives sectorielles, webinaires – et notre enjeu est de les acheminer de manière pertinente selon les intérêts et l’activité de chaque client. Enfin la conformité. Nous sommes en train d’accélérer nos processus digitaux KYC/AML, avec pour objectif de réduire les délais et la complexité pour le client tout en maintenant la rigueur réglementaire. Le défi est de transformer ce qui est perçu comme une contrainte administrative en une étape fluide du parcours client. C’est là que l’UX fait toute la différence.

L’étude Deloitte souligne également le rôle stratégique de la personnalisation dans la conversion des interactions digitales en revenus. Comment, chez IG Bank, abordez-vous la donnée client et l’intelligence artificielle pour y parvenir ?

Nous travaillons à développer une approche pragmatique et progressive. L’intelligence artificielle chez IG doit servir trois objectifs mesurables. L’anticipation du comportement client, l’optimisation des interactions, et la personnalisation de l’expérience. En tant que plateforme digitale execution-only, nous ne faisons pas de recommandations d’investissement, mais nous proposons un contenu analytique riche produit par nos analystes. L’IA nous permettra d’acheminer le bon contenu au bon moment – qu’il s’agisse d’analyses de marché, de webinaires ou d’insights sectoriels – pour que chaque trader puisse prendre ses décisions de manière informée. La clé n’est pas d’accumuler des données – c’est de construire les systèmes qui les transforment en actions commerciales concrètes générant des revenus mesurables, tout en renforçant la proposition de valeur perçue par le client.

Que faut-il changer rapidement pour que les gestionnaires de fortune en Suisse – banques privées, multi-offices, gérants indépendants… se découvrent enfin une vocation de « digital champions » ?

Le digital doit devenir une priorité stratégique au même titre que la performance des portefeuilles. Pour les gérants indépendants et family offices, cela signifie investir dans des solutions qui automatisent le reporting, simplifient l’agrégation des données et fluidifient la conformité. Tout ce qui libère du temps pour le conseil à haute valeur ajoutée.

Il faut repenser également les indicateurs de succès. Intégrer des KPIs centrés sur le client : Net Promoter Score, taux d’adoption des plateformes digitales, satisfaction par parcours. Ces métriques doivent être intégrées aux tableaux de bord stratégiques. Ce qui n’est pas mesuré n’est pas amélioré.

Enfin, il faut accepter qu’on ne peut pas tout construire seul. Le dilemme build versus buy doit être tranché pragmatiquement : développer les compétences cœur de métier, mais s’ouvrir massivement aux partenariats pour le reste. API banking, outils de visualisation patrimoniale, solutions de reporting enrichi – tout existe déjà.

L’urgence est là. La croissance explosive des néo-banques qui cassent les codes traditionnels montre que les attentes ont radicalement changé. Si l’industrie suisse ne se transforme pas dans les 2-3 prochaines années, ces capitaux migreront ailleurs. La Suisse a toujours su se réinventer – l’horlogerie l’a fait, la pharma l’a fait. La gestion privée en est capable aussi.

Dorothée Borca Dumortier
IG Bank

Forte de 20 ans d’expérience partagée entre banque privée et finance digitale, Dorothée Borca Dumortier est la CEO d’IG Bank., où elle pilote le développement et la vision stratégique de la banque. Elle en était auparavant la Chief Commercial Officer. Dans ces fonctions, elle a façonné la stratégie commerciale tout en renforçant l’expérience client et la performance organisationnelle.

Avant de rejoindre IG en 2020, Dorothée Borca Dumortier a évolué dans des postes de direction chez HSBC Private Bank — où elle s’est spécialisée dans la gestion de clients HNWI et institutionnels en Suisse, Europe, Royaume-Uni et Moyen-Orient — ainsi que chez Piguet Galland, où elle se consacrait aux Gérants Indépendants.

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     «Une plateforme IT doit se voir aujourd’hui comme un levier stratégique.»

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    Par Jérôme Sicard

    Comment définiriez-vous plus précisément ce concept de plateforme IT pour une société comme Telomere?

    La plateforme IT ne se résume pas pour nous à un simple outil ou à un empilement de solutions technologi­ques. C’est l’ossature numérique de notre activité, celle qui soutient de manière fluide et cohérente l’ensemble des dimensions de notre métier : la gestion de portefeuilles bien sûr, mais aussi la conformité régle­mentaire, la relation client ou encore le reporting. Nous l’avons pensée comme une structure modulaire, évolutive et sécu­risée, capable de s’adapter aux spécifici­tés de notre clientèle tout en intégrant les évolutions permanentes du marché.

    Quelle est la logique d’une telle plateforme aujourd’hui pour un gérant indépendant?

    Une plateforme IT doit se voir aujourd’hui comme un levier stratégique. Dans un environnement de plus en plus exigeant, marqué par la complexité réglementaire et la nécessité de se différencier, la plate­forme IT permet de centraliser les opéra­tions, d’automatiser ce qui peut l’être et d’assurer une conformité très rigoureuse. C’est aussi ce qui rend possible un service personnalisé, réactif, et cohérent avec les standards du secteur. En intégrant intelli­gemment des modules performants, de type PMS ou CRM par exemple, nous gagnons à la fois en efficacité et en qualité de service.

    Quels types de problèmes permet-elle de résoudre concrètement?

    Ils sont nombreux. La consolidation de données issues de multiples sources, par exemple, est devenue ces dernières années un enjeu majeur. Notre plateforme y répond en nous permettant d’uniformi­ser l’information et en offrant une vision claire, en temps réel, sur l’ensemble de nos comptes. Elle permet aussi de réduire fortement la charge administrative liée aux tâches répétitives et de limiter le risque opérationnel. Elle constitue enfin un rem­part essentiel en matière de protection des données, ce qui est aujourd’hui absolu­ment central dans nos métiers.

    Et demain?

    Elle ira encore plus loin, je n’ai aucun doute là-dessus. Nous poursuivons l’amé­lioration de nos outils en nous concentrant sur l’ergonomie, la fluidité des processus internes, et la capacité d’intégration avec des partenaires extérieurs. L’objectif est de simplifier toujours plus la vie de nos équi­pes et de nos clients.

    Nous allons notamment renforcer la per­sonnalisation des tableaux de bord, amé­liorer les notifications intelligentes liées à certains événements de portefeuille, ou encore fluidifier l’onboarding grâce à des formulaires dynamiques et préremplis. Nous prévoyons aussi de faciliter l’édition de documents réglementaires en y inté­grant plus de logique métier et de valida­tion automatique.

    La plateforme devient ainsi un véritable facilitateur opérationnel, à la fois discret et puissant, au service d’une relation client toujours plus fluide, transparente et réac­tive. Bref, elle est pour nous le socle tech­nologique sur lequel nous continuerons à bâtir notre évolution, dans une logique pragmatique, utile et pérenne.

    Comment avez-vous procédé pour la mettre en place?

    Nous avons suivi une démarche très structurée, en partant d’une analyse fine de nos besoins internes. Toutes les équi­pes ont été impliquées, car il s’agissait de construire un outil transversal. Ensuite, nous avons sélectionné des partenaires capa­bles de concevoir une solution à la fois sou­ple, robuste et parfaitement sécurisée. Le déploiement s’est fait par étapes, avec des phases de test, de formation et d’optimisa­tion continue. Nous avons voulu que ce soit un projet vivant, évolutif, aligné avec notre dynamique de croissance. Nous avons notamment choisi d’implémenter Microsoft Dynamics 365 comme socle CRM, pour sa flexibilité et son intégration fluide avec notre écosystème existant. L’un des axes majeurs a été de permettre une visualisa­tion claire et dynamique des chiffres clés, via Power BI. Cela permet à nos conseillers de générer rapidement des rapports per­sonnalisés, compréhensibles et exploita­bles en rendez-vous. Le client bénéficie pleinement de ces outils à travers une qua­lité accrue d’analyse, des échanges mieux documentés et une restitution de l’informa­tion plus claire, ce qui renforce la transpa­rence et la confiance dans la relation.

    Quels en sont les éléments clés?

    Nous avons mis en place une architecture modulaire, qui nous permet d’ajuster faci­lement les briques techniques à mesure que notre organisation évolue. L’intégration avec nos partenaires bancaires et finan­ciers est fluide, ce qui facilite considérable­ment la gestion quotidienne. Côté utilisa­teurs, l’interface est conçue pour être intuitive, aussi bien pour nos collaborateurs que pour nos clients.

    Mais au-delà de tout, la sécurité constitue un pilier absolu. Nous avons instauré des protocoles exigeants, avec des audits régu­liers et des tests d’intrusion systématiques. Cela nous permet de garantir l’intégrité, la confidentialité et la disponibilité des don­nées, sans compromis.

    Pourquoi avoir fait le choix d’externaliser la gestion de cette plateforme?

    Nous avons pris cette décision de manière délibérée. Externaliser, c’est nous appuyer sur des partenaires qui possèdent une expertise technique autrement plus déve­loppée que la nôtre, difficile par consé­quent à répliquer en interne à notre échelle. L’externalisation nous garantit une mainte­nance proactive, des mises à jour réguliè­res et une veille technologique perma­nente.

    Nous avons choisi de collaborer avec des acteurs solides et reconnus dans leur domaine – comme Key IT, BS Team ou ImmunIT – avec lesquels nous avons construit un environnement IT robuste, sécurisé, et parfaitement aligné avec les exigences du métier.

    Quels budgets faut-il envisager pour un tel dispositif?

    Tout dépend bien sûr du niveau de com­plexité et de personnalisation souhaité. Mais pour donner un ordre de grandeur, le développement initial et l’intégration peu­vent représenter un investissement com­pris entre 50’000 et 150’000 francs suisses.

    Ensuite, les coûts récurrents liés à l’exploi­tation – maintenance, support, mises à jour, hébergement – se situent généralement entre 30’000 et 100’000 francs par an pour une structure d’environ dix personnes. Ce sont des montants qu’il faut considérer comme un investissement stratégique : c’est ce qui garantit à la fois la qualité du service, la sécurité des données et, à terme, la compétitivité de la structure.

    Petra Kordosova

    Telomere Capital

    Petra Kordosova est directrice financière et responsable de la gestion des risques chez Telomere Capital, société de gestion indépendante avec une forte dimension family office. Elle en est d’ailleurs la co-fondatrice. La création de Telomere Capital remonte à 2015. Avant de se lancer dans ce projet d’entreprise, Petra a travaillé pendant près de dix ans pour UBS Wealth Management à Genève, dans un rôle de conseillère à la clientèle, dédiée au marché suisse. Elle est diplômée de l’Institut Supérieur de Gestion et de Communication de Genève et a suivi par ailleurs de nombreuses formations dans des domaines comme la compliance, la gestion financière et le management bancaire.

     

     

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    «AWAP a dû professionnaliser son fonctionnement et structurer son offre. »

    L’union fait la force. Et c’est ce dont auront besoin les gérants indépendants pour survivre. La mission de Fabian Charlier, nommé directeur général de l’AWAP en septembre, consistera donc à structurer et animer cette union. En s’appuyant surtout sur la technologie. L’objectif est de faire de l’association un «écosystème intégré» dont l’objectif est de simplifier le quotidien de ses membres.

    Par Levi-Sergio Mutemba

    L’un des trois piliers stratégiques que vous souhaitez soutenir est l’orthodoxie de gestion. Qu’entendez-vous par là?

    Ce que nous entendons par orthodoxie de gestion, c’est le respect d’un ensemble de règles et de bonnes pratiques. Dans cette optique, AWAP accompagne ses membres GFI dans leurs obligations de conformité, en proposant des services de compliance à des tarifs compétitifs, rendus possibles grâce à la mutualisation des services. Nous les aidons également à se préparer à leurs audits et, plus généralement, à aborder toute nouvelle réglementation de manière structurée et efficiente.

    Comment cela se traduit-il concrètement?

    À titre d’exemple, la FINMA a récemment renforcé ses exigences en matière de cybersécurité. Nous avons donc organisé, avec notre prestataire IT, un webinaire expliquant comment y répondre de manière pragmatique, et nous avons proposé à nos membres un audit gratuit de leur organisation IT. Cette volonté d’accompagner les GFI dans une orthodoxie de gestion s’étend également au domaine de l’investissement. Nous partageons nos vues de marché et mettons à leur disposition des portefeuilles modèles, ainsi qu’une liste de fonds.

    Il nous arrive aussi de jouer le rôle de sparring partner en analysant certains de leurs portefeuilles et en confrontant les risques financiers embarqués avec leur propre vue sur les marchés. C’est un soutien utile pour les petites et moyennes structures, qui n’ont pas toujours des ressources internes dédiées à l’investissement.

    En quoi consiste le passage d’AWAP d’une «communauté de GFI» à un «système intégré»?

    Au départ, AWAP était surtout une communauté de gérants réunis dans une logique de mutualisation et d’économies d’échelle. Cela a commencé il y a une quinzaine d’année par le partage de locaux, puis par des achats groupés de certains services. Avec l’introduction des licences FINMA consécutive à l’entrée en vigueur des lois LSFin/LEFin, AWAP a dû franchir une nouvelle étape. À savoir professionnaliser son fonctionnement et structurer son offre afin de répondre aux exigences accrues de la réglementation.

    À quoi ressemble donc AWAP aujourd’hui?

    AWAP regroupe aujourd’hui plus de 25 entités de gestion de fortune qui regroupe plus d’une soixantaine de relationship managers. Nous avons toutefois conservé l’esprit communautaire qui nous anime depuis le début. Aucun frais de gestion n’est prélevé et la contribution des membres reste modeste, adaptée à la taille de chaque entité. Ce montant est du reste souvent compensé par les économies réalisées grâce à la mutualisation des services. Grâce à notre plateforme, les GFI accèdent à un large réseau de prestataires, en matière par exemple de compliance, de systèmes de gestion de portefeuille, ou encore de solutions IT, et ce à des conditions avantageuses.

    Techniquement, comment AWAP créé cette interconnexion entre ses membres?

    Cette interconnexion est facilitée par myAWAP, notre intranet dédié, qui centralise l’ensemble des ressources, documents, communications et outils pratiques dont les membres ont besoin au quotidien. De fait, myAWAP constitue une véritable colonne vertébrale numérique qui permet de suivre les actualités du réseau en temps réel et de partager des bonnes pratiques.

    Au fil des années, cette dynamique collaborative a forgé un fort sentiment d’appartenance au sein de la communauté AWAP. Nombre de nos membres valorisent d’ailleurs leur affiliation dans leur communication auprès de leurs clients, comme gage de sérieux, de transparence et d’engagement professionnel. En d’autres termes, nos GFI restent indépendants, mais ne sont pas seuls : ils bénéficient de la force d’un réseau et de ressources à leur disposition.

    S’agissant de la consolidation des GFI, celle-ci se poursuivra-t-elle, selon vous?

    À vrai dire, il faudrait déjà qu’elle commence réellement ! Voilà plus de dix ans qu’on en parle, mais dans les faits, très peu d’opérations se concrétisent. Les difficultés tiennent souvent à l’écart entre les attentes des vendeurs et des acheteurs, notamment en matière de valorisation, mais aussi quelquefois à des différences culturelles. En réalité, la dynamique de consolidation concerne aujourd’hui davantage le secteur du private banking, où l’on observe une baisse régulière du nombre de banques en Suisse.

    L’égo des gérants joue-t-il un rôle dans la difficulté de trouver un terrain d’entente?

    Je ne saurais l’affirmer de manière catégorique. Cela dit, l’égo peut effectivement entrer en jeu, notamment sur des aspects plutôt symboliques. J’ai entendu parler d’un rapprochement ayant achoppé sur des éléments tels que le choix du nom de la nouvelle entité. L’égo joue donc sans doute un rôle, sans être pour autant un facteur systématique. Il faut aussi garder à l’esprit qu’un gérant de fortune indépendant est, par essence, attaché à son indépendance. C’est une dimension identitaire forte, et forcément sensible lorsqu’il s’agit d’envisager un rapprochement.

    Est-ce que l’indépendance des gérants a encore de l’avenir, compte tenu de la multiplicité des défis que la profession doit relever?

    Je le crois profondément, oui. Les GFI restent – et resteront – des acteurs essentiels de la gestion de fortune en Suisse. L’indépendance demeure le socle d’un conseil objectif, sans biais ni conflit d’intérêts. Ce n’est pas toujours le cas dans les banques, où les impératifs commerciaux – voire de rentabilité – peuvent influencer certaines décisions de gestion. Cela dit, les défis sont bien réels, notamment pour les petites et moyennes structures. Elles subissent une hausse continue des coûts, tout en devant répondre à des exigences réglementaires toujours plus lourdes.

    C’est précisément là qu’AWAP apporte sa valeur ajoutée. Notre conviction est simple. À savoir qu’ensemble, nous sommes plus forts. En unissant leurs forces au sein d’un réseau structuré, les gérants peuvent mutualiser certaines ressources, accéder à un support spécialisé et partager des best practices pour faire face à la pression réglementaire et opérationnelle. Cette approche collaborative crée un véritable cercle vertueux, en ce qu’elle renforce la solidité des structures membres tout en inspirant confiance aux clients finaux.

    Fabian Charlier

    AWAP

    Fabian Charlier dirige AWAP avec le titre de managing director. Il connait d’autant mieux la structure qu’il en a été membre voilà dix ans. Fabian a plus de 25 ans d’expérience sur les marchés financiers, dont dix années en banque d’investissement et quinze années en gestion d’actifs, au cours desquelles il a piloté le développement de plusieurs sociétés de gestion. Fabian Charlier est titulaire de la certification Chartered Financial Analyst (CFA).

     

     

     

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    La transformation numérique du secteur financier s’est nettement accélérée ces dernières années. L’intelligence artifi­cielle s’impose désormais comme un levier majeur de performance, de scalabi­lité et de personnalisation dans la relation client. Tandis que les grandes banques déploient déjà des stratégies numériques à grande échelle, les petites structures doivent composer avec un retard technolo­gique à combler, dans un environnement de plus en plus exigeant sur le plan régle­mentaire et opérationnel. Dans ce contexte, l’IA devient un véritable levier stratégique. Bien utilisée, elle permet d’optimiser les processus clés, de réduire les risques et d’alléger les charges internes. Mais le chemin vers cette intégration reste com­plexe, tant sur le plan technique que régle­mentaire et culturel.

    Les gérants indépendants suisses font face en effet à un environnement de plus en plus contraignant. L’introduction de la législation LSFin/LEFin a bouleversé leur cadre régle­mentaire, imposant une obligation d’autori­sation, des exigences en fonds propres et une surveillance continue par la FINMA avec le concours des organismes de supervision. Ces exigences génèrent des coûts récurrents et une charge administra­tive importante, qui pèsent de manière dis­proportionnée sur les structures de petite taille. À cela s’ajoute un retard général en matière de digitalisation – sans parler d’une réelle réflexion sur l’intégration de l’IA. Les capacités internes pour mener à bien des projets technologiques d’enver­gure sont souvent limitées. L’IA n’est donc plus perçue uniquement comme une option technologique, mais bien comme une nécessité stratégique.

    Dans la pratique, au quotidien, les cas d’usage de l’IA dans le wealth management sont nom­breux. Ils portent entre autres sur l’automatisation des tâches de confor­mité (KYC, reporting réglementaire, documentation), l’analyse avancée des données de portefeuille, l’appui aux déci­sions d’investissement, ou encore le service client parfois confié à des chat­bots. En matière de compliance, l’IA peut surveiller les règles en vigueur et signa­ler les situations à risque. Intégrée à un CRM, elle permet d’anticiper les risques de départ ou d’identifier des opportuni­tés de vente croisée.

    Ces solutions ne se contentent pas d’amé­liorer l’efficience. Quand elles sont bien implémentées, elles rehaussent égale­ment la qualité de service – à condition d’être bien assimilées dans les processus existants.

    L’introduction de systèmes basés sur l’IA suppose de relever plusieurs défis. Les données constituent un point de départ crucial. Elles sont souvent fragmentées, non structurées, ou stockées dans des sys­tèmes externes difficilement accessibles. Il faut donc d’abord les nettoyer, les structu­rer et les centraliser. Par ailleurs, les outils existants – portefeuille, conformité, CRM – ne sont pas toujours compatibles avec des modules d’IA et nécessitent des ajuste­ments techniques.

    La traçabilité des résultats est un autre enjeu clé. Dans un univers réglementé, les décisions prises par l’IA doivent être com­préhensibles et justifiables, tant pour les conseillers que pour les clients. L’utilisation de services cloud ou de fournisseurs externes exige aussi une vigilance accrue en matière de protection des données, de sécurité informatique et de gouvernance. Cela requiert soit une expertise pointue en interne, soit des partenaires fiables.

    En la matière, la FINMA a posé ses pre­mières balises avec sa communication estampillée 08/2024. Elle y affirme quatre principes.

    L’institution reste responsable des proces­sus, même assistés par IA.

    Les modèles doivent être robustes, basés sur des données fiables et révisées régu­lièrement.

    Les résultats doivent être explicables, les approches «boîte noire» étant jugées pro­blématiques.

    Le respect des lois sur la protection des données et des standards internationaux est impératif, notamment pour les traite­ments externes.

    La FINMA attend aussi une évaluation de l’impact de l’IA sur le profil de risque de l’institution et une adaptation des contrôles internes.

    Aujourd’hui, la plupart des éditeurs de PMS intègrent ou développent leur propre assistant IA. Les outils de gestion de por­tefeuille vont bientôt proposer des fonc­tions conversationnelles connectées aux données clients. Les solutions de com­pliance intègrent des modules de veille réglementaire. Les CRM deviennent intel­ligents. Mais cette évolution fragmentée engendre un nouveau risque, celui des silos d’intelligence artificielle.

    Chaque solution reste centrée sur son propre périmètre de données. Un assistant IA intégré au PMS n’aura par exemple aucun accès à la correspondance client ou aux documents de compliance. Cette absence de vision holistique limite fortement le potentiel d’automatisation intelligente.

    Dans ce contexte, autant envisager un point d’entrée qui soit pragmatique. Beaucoup de gérants utilisent déjà Microsoft 365 comme plateforme de travail. Le Copilot intégré offre un point d’entrée pratique à l’IA, sans refonte majeure du système d’in­formation. Relié à Outlook, Teams, Share­Point ou Excel, il permet de générer du texte, d’extraire de l’information ou de traiter des documents de manière automatisée.

    Son principal atout : une intégration fluide dans les processus existants, sans nouvel outil ni interfaçage complexe. De plus, les exigences de sécurité et de conformité peuvent être respectées, notamment si les données sont traitées en Suisse ou dans l’UE.

    Des alternatives comparables existent. C’est le cas par exemple de Gemini for Workspace chez Google, ou de ChatGPT Enterprise chez OpenAI, qui peuvent s’in­tégrer aux environnements bureautiques ou collaboratifs déjà en place.

    Ces outils permettent aux gérants d’ac­quérir une première expérience avec l’IA dans un cadre familier – avec un effort limité et sans bouleversement IT.

    Cependant, mettre en oeuvre une stratégie d’intelligence artificielle ne se résume pas à déployer un outil de plus. Cela suppose d’abord un travail de fond sur les données. Il convient d’identifier les sources disponi­bles, d’en vérifier la qualité, de clarifier les droits d’accès et de s’assurer de leur inte­ropérabilité. Sans cette base consolidée, aucune automatisation pertinente n’est envisageable.

    Ensuite, une évaluation rigoureuse des outils IA est nécessaire. Cela implique de comprendre les prérequis techniques de l’environnement de travail existant, mais aussi d’en examiner les implications en matière de sécurité et de confidentialité.

    Il est également essentiel d’éviter toute dépendance technologique à un fournis­seur unique. Les solutions retenues doivent pouvoir s’intégrer de manière ouverte avec d’autres systèmes, sans cloisonner les usages ni enfermer l’organisation dans un système clos.

    L’approche doit rester progressive. Mieux vaut commencer par des assistants géné­ralistes – par exemple ceux intégrés aux suites bureautiques – avant de connecter, au besoin, des systèmes plus spécialisés comme un PMS ou une plateforme de compliance.

    Ce travail d’intégration s’accompagne nécessairement de la mise en place d’une gouvernance claire : il faut définir les règles d’accès aux données, les responsabilités de chacun, et les mécanismes de contrôle.

    Enfin, et peut-être surtout, il convient d’im­pliquer les équipes dès les premières étapes. La formation, l’adhésion et la diffu­sion des bonnes pratiques seront les vrais catalyseurs d’un changement pérenne. Une IA bien intégrée, c’est d’abord une organisation qui a su se l’approprier.

    Il est évident que les assistants basés sur l’IA deviendront vite des standards dans le wealth management de demain. Pour les gérants indépendants, le choix est clair : prendre ce virage proactivement ou risquer de se retrouver à la traîne.

    Mais réussir cette transition exige plus que des outils. Il faut une stratégie claire, des processus solides, une gestion rigoureuse des données et un investissement dans les compétences internes.

    Ceux qui posent aujourd’hui ces fondations seront les mieux armés pour intégrer les technologies de demain, quelle que soit la vitesse de transformation du marché.

    Car le véritable avantage concurrentiel ne viendra pas de l’outil lui-même – mais de la capacité des organisations à l’intégrer effi­cacement. L’avenir est aux modèles hybri­des, alliant puissance technologique et intelligence humaine. Pour les gérants indépendants, c’est une opportunité unique de renforcer leur position et d’inscrire leur développement dans la durée.

    Dimitri Petruschenko

    Petruschenko Consulting

    Ancien fondateur et associé gérant de EAM.Technology, une société spécialisée dans le conseil et les services opérationnels externalisés, Dimitri Petruschenko a plus de quinze ans d’expérience dans l’environnement technologique propre au secteur financier. Durant son parcours, il a été amené à travailler plus particulièrement pour des banques privées, des gestionnaires de fortune indépendants et des family offices. Avant de lancer EAM.Technology, il a occupé différents postes de direction chez des fournisseurs suisses de solutions logicielles destinées aux secteurs du wealth management et de l’asset management.

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      Solutions EAM

      • Guillaume de Boccard
      • Associé-fondateur
      • Geneva Compliance Group

      Gestion proactive des risques organisationnels : un atout plus qu’une contrainte

      Avec la LEFin, la gestion des risques organisationnels n’est plus un simple exercice de conformité. Elle conditionne l’autorisation d’exercer, structure la gouvernance et devient un facteur de crédibilité autant qu’un levier stratégique. Les gérants indépendants qui l’intègrent de manière proactive peuvent ainsi transformer une simple obligation réglementaire en avantage compétitif durable.

      Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur les établissements financiers, la LEFin, le paysage réglementaire des gestionnai­res de fortune suisses a changé de nature. Ce qui relevait autrefois de l’autorégula­tion, nourrie de codes de conduite secto­riels et d’usages professionnels, est désor­mais encadré par un dispositif légal et institutionnel qui impose une discipline organisationnelle accrue. La surveillance de la FINMA, opérée en grande partie par l’intermédiaire des Organismes de Sur­veillance, a placé la gouvernance et les contrôles internes au coeur de l’évaluation prudentielle. Dans ce contexte, la gestion proactive des risques organisationnels devient un élément central, non seulement pour satisfaire aux exigences légales, mais aussi pour affirmer sa crédibilité, préser­ver la confiance des clients et assurer la pérennité de son activité.

      La LEFin impose une organisation adéquate et proportionnée à la nature, à la complexité et au volume des affaires traitées. Cette exi­gence dépasse la simple formalité admi­nistrative : elle conditionne directe­ment l’octroi et le maintien de l’autorisation. Elle suppose des structures claires, la sépa­ration effective des fonctions de gestion, de contrôle et de surveillance, et la mise en place de procédures internes fiables et documentées. Dans la pratique, il ne s’agit pas seulement d’avoir un organigramme bien dessiné ou un recueil de directives et de procédures sur le coin du bureau, mais de garantir que les lignes de responsabilité soient comprises, appliquées, régulière­ment testées et révisées. L’expérience montre que les difficultés apparaissent souvent lorsqu’une forme de routine s’ins­talle, même là où l’on se croit le plus solide : une procédure jamais éprouvée, un rem­placement improvisé en cas d’absence d’un collaborateur clé ou encore un pro­cessus de validation et de surveillance qui s’appuie sur une seule personne.

      Les risques organisationnels spécifiques aux gestionnaires de fortune sont multiples. Ils tiennent d’abord à la gouvernance. L’ab­sence de supervision active par le conseil d’administration ou la confusion des rôles entre les organes peut fragiliser l’ensem­ble de la structure. Les auditeurs n’hésitent pas à relever ces défaillances, surtout lorsqu’elles se traduisent par une absence de contrôle des opérations ou un suivi lacunaire des obligations réglementaires.

      Le risque humain est omniprésent. Les administrateurs et les dirigeants qualifiés en particulier doivent démontrer expérience, probité et compétences techniques ; une nomination inadaptée ou une dépendance excessive à une seule personne peuvent provoquer une réaction immédiate de l’autorité de surveillance. La mise à jour des informations les concernant auprès de la FINMA et des OS est essentielle et un man­quement peut conduire à l’ouverture d’une procédure individuelle d’enforcement. Pré­venir de telles situations passe par la forma­tion continue, la mise à jour régulière des procédures et la conservation systématique des documents pertinents.

      À ces dimensions humaines s’ajoute la question des systèmes et des contrôles internes. Un dispositif de surveillance robuste n’est pas qu’un concept théorique : il doit être intégré au quotidien, périodi­quement testé et permettre de détecter puis traiter rapidement tout incident. A ce titre, la production de traces exploitables – audit trail – est essentielle. Les acteurs qui investissent dans des outils adaptés – contrôles intégrés dans les opérations, supervision indépendante par la confor­mité et la gestion des risques ainsi que l’audit – réduisent considérablement leur exposition. L’efficacité se mesure aussi à la réactivité : la mise en oeuvre rapide de mesures correctives et la documentation précise des décisions prises que le ges­tionnaire maîtrise son dispositif et sait en tirer des améliorations continues.

      La surveillance exercée par la FINMA via les OS et les auditeurs repose sur un système tripartite : le gestionnaire rend des comptes à son OS via son auditeur; la FINMA n’entre en jeu que sur les questions d’autorisation et de sanctions. Derrière cette mécanique, apparemment formelle, se joue en réalité la crédibilité de l’organi­sation. Les rapports d’audit constituent une photographie détaillée de la situation de chaque établissement. Des constats de manquements porteraient notamment sur une organisation inadaptée ou obsolète, un système de contrôle inadapté ou mal appli­qué, et des lacunes dans la mise en oeuvre des obligations LBA ou LSFin, la sur­veillance des délégataires ou encore dans la gestion des conflits d’intérêts.

      L’expérience démontre que la posture adoptée face à ces constats fait toute la dif­férence : un gestionnaire qui anticipe les observations, prépare des réponses argu­mentées et met en oeuvre sans délai les recommandations établit un climat de confiance durable. Une bonne collabora­tion continue avec son auditeur est de nature à permettre d’anticiper d’éventuel­lement manquements et de diminuer ces risques. La souscription à une assurance responsabilité civile, pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait, est également un élément contribuant à la diminution du risque, financier cette fois-ci.

      Il serait pourtant réducteur de voir dans ce cadre réglementaire uniquement une contrainte. Les gestionnaires de fortune qui intègrent la gestion des risques dans leur stratégie globale transforment cette exi­gence en levier compétitif. Loin de brider l’initiative, la mise en place d’une culture de conformité favorise la clarté des décisions, fluidifie la communication interne et ren­force la relation de confiance avec les clients et partenaires. Encourager la remontée d’informations sans crainte de sanction interne, impliquer l’ensemble des collaborateurs dans l’identification et la maîtrise des risques et valoriser les contrô­les comme un gage de sérieux deviennent alors autant de marqueurs distinctifs sur un marché de plus en plus exigeant.

      Sous le régime de la LEFin, la conformité n’est pas un objectif figé, mais un proces­sus vivant qui exige anticipation, rigueur et engagement. Loin d’être un coût, la gestion proactive des risques organisationnels et la vigilance constante des organes de direc­tion constituent un investissement stratégi­que. Elles renforcent la stabilité, protègent la réputation et soutiennent la croissance. Dans un secteur où la confiance reste la première valeur, elles sont sans doute l’as­surance la plus précieuse que puisse offrir un gestionnaire de fortune.

      Guillaume de Boccard

      Geneva Compliance Group

      Guillaume de Boccard est associé fondateur de Geneva Compliance Group. Il est spécialisé dans la mise en place et la gestion de projets juridiques et réglementaires, notamment dans le secteur financier. Il supervise l’ensemble des activités de conseil. Titulaire du brevet d’avocat, et détenteur d’un MBA de l’INSEAD, il a précédemment exercé ses activités auprès de de Boccard Conseil. Il a travaillé également pour Pictet & Cie, à Genève, et Credit Suisse, à Zurich.

       

       

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